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5 avril 2020 7 05 /04 /avril /2020 12:44

La révolte des gilets jaunes, le transhumanisme en germe dans les lois bioéthiques, la crise migratoire, sont autant de signes de la décadence de la modernité. La pandémie de coronavirus en est un de plus: elle ébranle l’idéologie progressiste des sociétés modernes et sa prétention à tout résoudre. C’est ce que nous explique le sociologue Michel Maffesoli, professeur émérite à la Sorbonne, dans l’article ci-dessous :

On ne dira jamais assez que nous assistons à la décadence inéluctable de la modernité. Fin d’un monde se manifestant, au quotidien, dans une dégénérescence (…) du mythe progressiste (…) Ce progressisme s’employait à justifier la domination sur la nature, à négliger les lois primordiales de celle-ci et à construire une société selon les seuls principes d’un rationalisme abstrait dont l’aspect morbide apparaît de plus en plus évident. Les réformes dites «sociétales» (mariage pour tous, PMA-GPA, etc.) en étant les formes caricaturales.
Le point nodal de l’idéologie progressiste, c’est l’ambition voire la prétention de tout résoudre, de tout améliorer afin d’aboutir à une société parfaite et à un homme potentiellement immortel.(…)
Ambition, prétention de tout maîtriser. (…) L’élite moderne: politiques, journalistes et divers experts, est contaminée par cette prétention quelque peu paranoïaque. Dans un avenir, plus ou moins proche, l’on arrivera à réaliser une société parfaite!
C’est bien cette conception (…) optimiste qui est en train de s’achever. Et, dans le balancement inexorable des histoires humaines, c’est le sentiment du tragique de la vie qui, à nouveau, tend à prévaloir. (…) Le tragique est aporique, c’est-à-dire sans solution. La vie est ce qu’elle est.
Plutôt que de vouloir dominer la nature, on s’accorde à elle. Selon l’adage populaire, «on ne commande bien la nature qu’en lui obéissant.» La mort, dès lors, n’est plus ce que l’on pourra dépasser. Mais ce avec quoi il convient de s’accorder.
Voilà ce que rappelle, en majeur, la «crise sanitaire». La mort pandémique est le symbole de la fin de l’optimisme propre au progressisme moderne. On peut le considérer comme une expression du pressentiment, quelque peu spirituel, que la fin d’une civilisation peut être une délivrance et, en son sens fort, l’indice d’une renaissance. Indice, «index», ce qui pointe la continuité d’un vitalisme essentiel!
La mort possible, menace vécue quotidiennement, réalité que l’on ne peut pas nier, que l’on ne peut plus dénier, la mort qu’inexorablement l’on est obligé de comptabiliser, cette mort, omniprésente, rappelle dans sa concrétude que c’est un ordre des choses qui est en train de s’achever. (…) Et ce réel c’est la mort de cet «ordre des choses» ayant constitué le monde moderne!
Mort de l’économicisme dominant, de cette prévalence de l’infrastructure économique cause et effet d’un matérialisme à courte vue.
Mort d’une conception purement individualiste de l’existence. (…)L’angoisse de la finitude, finitude dont on ne peut plus cacher la réalité, incite, tout au contraire, à rechercher l’entraide, le partage, l’échange, le bénévolat et autres valeurs du même acabit que le matérialisme moderne avait cru dépasser.
Encore plus flagrant, la crise sanitaire signe la mort de la mondialisation, valeur dominante d’une élite obnubilée par un marché sans limites, sans frontières où, là encore, l’objet prévaut sur le sujet, le matériel sur le spirituel.
Souvenons-nous de la judicieuse expression du philosophe Georg Simmel, rappelant que le bon équilibre de toute vie sociale est l’accord devant exister entre le «pont et la porte». Le pont nécessaire à la relation, et la porte relativisant cette relation afin d’accéder à une harmonie bénéfique pour tout un chacun.
C’est ce que j’ai appelé «Écosophie», sagesse de la maison commune. En termes plus familiers, il s’agit de reconnaître que «le lieu fait lien». (…) La glèbe natale retrouve une force et vigueur indéniables. Enracinement dynamique rappelant que, comme toute plante, la plante humaine a besoin de racines pour pouvoir croître, avec force, justesse et beauté! Ainsi face à la mort on ne peut plus présente, est rappelée la nécessité de la solidarité propre à un «idéal communautaire» que certains continuent à stigmatiser en le taxant, sottement, de communautarisme.
La mort de la civilisation utilitariste où le lien social est à dominante mécanique, permet de repérer la réémergence d’une solidarité organique. (…) Ce qu’avait (…) bien analysé Georges Dumézil en rappelant l’interaction et l’équilibre existant, à certains moments, entre les «trois fonctions sociales». La fonction spirituelle, fondant le politique, le militaire, le juridique et aboutissant à la solidarité sociétale. Ainsi, au-delà d’une suradministration déconnectée du Réel, c’est bien un tel holisme que l’on voit resurgir de nos jours. (…)
Le «tragique» (…) s’accorde à la mort. Il sait, d’un savoir incorporé, savoir propre à la sagesse populaire, vivre la mort de tous les jours.
Voilà en quoi la crise sanitaire porteuse de mort individuelle est l’indice d’une crise civilisationnelle, celle de la mort d’un paradigme progressiste ayant fait son temps. Peut-être est-ce cela qui fait que le tragique ambiant, vécu au quotidien, est loin d’être morose, conscient qu’il est d’une résurrection en cours. Celle où dans l’être-ensemble, dans l’être- avec, dans le visible social, l’invisible spirituel occupera une place de choix.

dans Le Figaro du 23 mars 2020

merci à EVR.

 

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