Reçu d'EVR.
Dimanche 21 janvier, nous célébrerons l’anniversaire de la mort du roi Louis XVI. Cette exécution, écrira Albert Camus dans L’homme révolté, « symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. Dieu, jusqu’ici, se mêlait à l’histoire par les Rois. Mais on tue son représentant historique, il n’y a plus de roi. Il n’y a donc plus qu’une apparence de Dieu relégué dans le ciel des principes. » Remémorons-nous cet événement avec ce texte de l’historien Bernard Faÿ (1893-1978) :
Sitôt seuls, l'abbé Edgeworth tomba aux pieds de Louis XVI en pleurant. Pour la première fois, le Roi s'attendrit, puis, se reprenant, il s'excusa. L'habitude de vivre parmi des ennemis lui rendait la vue d'un sujet fidèle un spectacle fort émouvant. Il mena l'abbé Edgeworth dans sa tourelle ; il l'y fit asseoir, lui montra son testament (…). Vers huit heures et demie, l'annonce que sa famille était là les interrompit. Aussitôt, il s'y rendit. Et, revoyant les siens, il s'émut d'abord ; ils s'assirent unis en un groupe sanglotant ; puis, il leur raconta le procès avec sérénité ; il rappela au Dauphin ses devoirs religieux et celui de pardonner à ses bourreaux. Il bénit ses deux enfants, leur parla avec tendresse et les consola. Mais il refusa que la famille passât la nuit avec lui. Il avait trop besoin de sérénité. Il promit, pourtant, de la revoir le matin. En partant, la Reine défaillait.
Il les congédia à dix heures et quart pour consacrer ses dernières heures à Dieu. . « Ah ! Monsieur, dit-il à l'abbé, quelle entrevue que celle que je viens d'avoir ! Faut-il que j'aime et que je sois si tendrement aimé ? Mais c'en est fait, oublions tout le reste pour ne penser qu'à l'unique affaire de notre salut ; elle seule doit en ce moment concentrer toutes mes affections et mes pensées. » Il se confessa donc. Puis, vers onze heures, il prit un léger souper et força l'abbé à l'imiter. Celui-ci, que la confession du Roi pénétrait de componction, lui proposa de lui donner la communion. Tâche difficile et dangereuse, mais la joie de Louis XVI était si grande que l'abbé Edgeworth n'hésita pas à voir aussitôt les commissaires qui surveillaient le Roi ; il obtint d'eux, enfin, la permission et les moyens de dire la messe.
Edgeworthh rapporta l'heureuse nouvelle au Roi. Rassuré, plein de joie spirituelle, il causa tard dans la nuit avec l'abbé, puis il se coucha en disant à Cléry de l'éveiller à cinq heures. Il se réveilla le premier : « J'ai bien dormi, dit-il à Cléry qui allumait le feu ; j'en avais besoin, la journée d'hier m'avait fatigué. » Cléry l'habilla et le coiffa en silence. A six heures, l'abbé dit la messe sur une commode installée au milieu de la pièce. Le Roi la suivit à genoux et communia pieusement.
La messe terminée, Cléry le pria de le bénir. Il le fit en le remerciant de ses loyaux services. Il lui remit un cachet pour son fils, un anneau pour la Reine, une mèche de ses cheveux. Il plaça sur la cheminée les autres objets, montre, portefeuille, etc.
Depuis cinq heures, on battait la générale ; des troupes de cavalerie entraient dans la cour du Temple. Le Roi désira âprement revoir les siens. Le prêtre le lui déconseilla, car la Reine ne le supporterait pas. « Vous avez raison, ce serait le coup de la mort ; il vaut mieux me priver de cette douce consolation et la laisser vivre d'espérance quelques moments de plus. »(…)
A neuf heures, (…) On prévint le Roi que l'heure fatale était venue. « Je suis en affaire, répondit-il. Attendez-moi là. Je serai avec vous. » Fermant la porte, il s'agenouilla devant Edgeworth : « Tout est consommé, Monsieur, donnez-moi votre dernière bénédiction, et priez Dieu qu'il me soutienne jusqu'à la fin. »
Puis, il rentra dans sa chambre, prit son chapeau et suivit les gardes, moins chagrin qu’eux. A la seconde cour, on l'installa dans une voiture de place, avec l'abbé et deux gendarmes. Nul ne parlait, il lisait le bréviaire d'Edgeworth. On entendait le piétinement des soldats, le bruit des tambours. La marche, lente et interrompue, dura deux heures.
La pensée du Roi se reportait vers le passé. Quel besoin d'aimer en lui ! Comme il avait aimé ce peuple ! Mais que de haine contre lui ! Choiseul, l'homme des philosophes ; parlementaires et sectaires, puis Orléans, les Trente, les jacobins. Aujourd'hui, ils triomphaient ; la France reniait sa tradition, sa civilisation et sa foi. Elle refusait cette suprématie sur l'univers que sa race avait voulue, et lui, obtenue. Que deviendrait- elle sans ancre et sans boussole, même si son peuple gardait ses qualités héroïques et son génie merveilleux ? II ne regrettait rien. Plutôt mourir que tuer ses sujets.
Cependant, dans tous les coins de Paris, des royalistes cherchaient une occasion d'agir. La veille, l'un d'entre eux avait assassiné Lepeletier de Saint-Fargeau. Mais le 21 janvier 1793, la police, nombreuse et tendue, empêcha de rien faire. La voiture parvint ainsi place Louis-XV. Alors, elle s'arrêta, et on le fit descendre. Auparavant, de son ton toujours calme et ferme, il réclama qu'on respectât l'abbé après sa mort. Trois bourreaux l'entourèrent pour lui ôter ses vêtements. Il les repoussa et défit son col et sa chemise. Ils voulurent lui lier les mains. « Me lier ! répondit-il avec indignation. Non, je n'y consentirai jamais ; faites ce qui vous est commandé, mais vous ne me lierez pas, renoncez à ce projet. »
La scène pouvait devenir atroce ; l'abbé Edgeworth lui murmura : « Sire, dans ce nouvel outrage, je ne vois qu'un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense. » Ce fut comme un coup de fouet dans le visage du Roi. Il leva vers le Ciel des yeux où, pour la première fois, il y avait une lueur rouge. « Assurément, s'écria-t-il, il ne faut rien moins que son exemple pour que je me soumette à un pareil affront. » Puis, aux bourreaux : « Faites ce que vous voulez, je boirai le calice jusqu'à la lie. »
On lui lia les mains derrière le dos. Il monta sans hésiter les marches raides de l'échafaud. Puis, en haut, échappant aux bourreaux, il s'avança face à la foule et s'écria, d'une voix tonnante : « Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France... »
Il y avait du flottement dans la troupe, où des soldats pleuraient. Santerre se hâta d'ordonner aux tambours de battre pour couvrir sa voix. Dans ce bruit, les bourreaux firent en hâte leur besogne. La planche bascula. On entendit encore un grand cri. La tête de Louis XVI tomba dans le panier.
Un groupe d'hommes et de femmes se précipitèrent pour plonger leurs mouchoirs et des enveloppes dans son sang. Le sang de Louis XVI gicla très loin.
Depuis, toute l'histoire de la France en est marquée.
Extrait de Louis XVI ou la fin d’un monde , Ed. Amiot-Dumont, 1955
Texte plus complet ICI
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