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17 janvier 2019 4 17 /01 /janvier /2019 09:30

On avait une source, à laquelle on buvait nos salaires. Selon notre place dans la société et l'importance de notre travail, elle était abondante ou petite. Après avoir absorbé la quantité d'eau nécessaire à notre survie, on en abandonnait une partie à l'Etat. De 5 à 75%. Il y avait des gens dont l'eau était si rare que l'Etat n'y touchait pas, se rattrapant sur les cotisations sociales, les taxes locales et les impôts indirects. Les autres contribuables, une fois désaltérés, laissaient l'Etat se planter devant leur source et boire ce qu'il jugeait bon de boire. Puis sa large bouche humide et son gros ventre bien rempli, il se redressait, satisfait, et allait dormir, dans ce petit coin tranquille qu'on appelle l'administration, jusqu'au prochain tiers provisionnel.

Cette créature assoiffée – l'Etat – tente de faire oublier sa nature brutale par des propos où il est sans cesse question d'une liberté qui n'existe pas, d'une égalité qui est un songe et d'une fraternité qui est un souvenir. «La Marseillaise », que nos pauvres joueurs internationaux de football sont obligés de chanter avant chaque match sous peine de déplaire à Didier Deschamps et de se faire virer de la sélection, n'est-elle pas un appel au meurtre de masse ? « Qu'un sang impur abreuve nos sillons... » Il y en a qui se sont retrouvés à La Haye pour moins que ça.

La dernière invention de l'Etat pour tourmenter les Français: la retenue à la source. Les contribuables étaient naguère les premiers à boire leur eau. L'Etat leur laissait ce mince privilège. On sentait bien que cet ordre des choses le mécontentait. Il y avait comme une mauvaise humeur lente et une colère atone dans la façon abrupte qu'il avait de boire notre eau après nous. Il a fini par juger que la première place à la source lui revenait de droit. Désormais, c'est lui qui boira en premier. Quelle que soit notre soif, la sienne primera. Et ce n'est pas trois fois par an que nous verrons l'Etat encombrer l'entrée de notre source, mais douze fois. Il se plantera, tous les trente ou trente et un jours, devant nos lèvres sèches, nous menaçant du doigt tandis qu'il absorbera, avec de grossiers borborygmes, la quantité d'eau dont il aura besoin pour ses dépenses somptuaires de sécurité personnelle et ses coûteux voyages de prestige présidentiel.

Payer ses impôts était un acte, c'est devenu un viol. On avait le choix de ne pas le faire et on en subissait les conséquences, souvent dramatiques. L'Etat, alors, n'hésitait pas à tuer, avec une prédilection pour les écrivains: Vian, Sagan. On pouvait préférer nourrir ses enfants plutôt que les fonctionnaires de l'Union européenne. A l'arrivée, ça coûtait bonbon, mais, au moins, les petits avaient mangé. Acheter pour notre mère les médicaments non remboursés contre l'alzheimer au lieu d'engraisser les députés oublieux de leurs promesses électorales, ce sera désormais impossible. La retenue à la source est une mesure pour infantiliser le peuple: ce n'est plus lui qui décide s'il veut payer ou pas, c'est son père qui ampute d'emblée l'argent de poche du mois pour pouvoir payer les traites de sa nouvelle voiture de fonction. Le président Macron devrait quand même se méfier des buveurs d'eau français: «La Marseillaise », ils ne se contentent pas toujours de la chanter .

Patrick Besson, L’Etat, premier servi, dans Le Point du 30 août 2018

Merci encore à EVR

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