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29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 14:29
Vaches à hublot: peut-on tout faire subir aux animaux?
Vaches à hublot: peut-on tout faire subir aux animaux?

Mercredi 19 juin, l’association militante L214 diffusait une vidéo montrant des vaches affublées d’un hublot, permettant aux chercheurs de l’entreprise Sanders d’accéder directement à leur estomac afin de mener des recherches pour augmenter la productivité des animaux d’élevage. Sur les réseaux sociaux comme dans les médias, l’émotion a été unanime.

 

Les vingt minutes de la vidéo sont en effet insoutenables: les vaches sont confinées dans des espaces minuscules. Le foin leur est jeté sans ménagement. Du hublot qu’elles ont le long de l’estomac suintent en permanence des sécrétions gastriques, et lorsque les scientifiques manipulent ensuite l’orifice pour y verser quelque chose ou y faire des prélèvements, c’est avec une brutalité insupportable. 

 

Certes, d’après les chercheurs, les animaux ne souffrent pas - on a du mal à le croire. Mais la question soulevée est plus vaste, car après tout la chasse ou l’élevage supposent nécessairement une part de souffrance animale. Si celle-ci heurte tant, peut-on s’indigner devant les images de ces vaches à hublot, sans réclamer du même coup l’abolition de toutes les formes d’exploitation des animaux? Certains franchissent ce pas. Dans le tourbillon de l’émotion collective règne ainsi une immense confusion. Sur Europe 1, Cédric Villani déclarait jeudi: «C’est la négation de la dignité de l’animal.» Mais quelle dignité? On tombe ici dans le piège idéologique de certains militants, qui réclament des droits pour les animaux. Ne s’agit-il pas au contraire de clarifier les devoirs et la responsabilité des hommes?

 

Entre «l’animal-machine» de Descartes et l’animal sujet de droit des antispécistes, il convient de trouver un juste milieu qui, sans remettre en cause la dignité supérieure de l’homme, ne réduise pas l’animal à un simple bien de consommation. Il y a dans la vie de l’animal, dans sa sensibilité et son autonomie, une présence qui l’élève au-dessus des choses inanimées. Quand l’homme en vient à nier les besoins élémentaires de l’animal et le réduit à un usage, au mépris de son bien-être, il l’enferme alors dans une quête effrénée de performance: il gomme ainsi la frontière entre l’animal… et le robot. La bête n’est plus qu’une éprouvette sur pattes, une «machine», cette fois-ci plus au sens où l’entendait Descartes qui considérait la vie animale comme mécanique et non pas consciente, mais au sens de Bernanos, qui décrivait dans La France contre les robots le triomphe de la «Machinerie», c’est-à-dire d’une vie «tout entière orientée par la notion de rendement, d’efficience et finalement de profit».

 

La première victime n’est pas l’animal mais l’homme lui-même qui manque ici à la responsabilité que lui confère la position dominante qu’il a acquise au sein du vivant. Pris au piège de la «civilisation des machines», qui n’est pas tant la cause mais le révélateur de sa folie: «Les machines, écrivait encore Bernanos, n’ont, jusqu’ici du moins, probablement rien changé à la méchanceté foncière des hommes, mais elles ont exercé cette méchanceté, elles leur en ont révélé la puissance et que l’exercice de cette puissance n’avait, pour ainsi dire, pas de bornes.»

 

On mesure davantage cette folie quand on sait qu’à présent, loin de s’arrêter au «transanimalisme», les savants fous de la Silicon Valley cherchent à augmenter… l’humain lui-même. Tôt ou tard, ce sera notre tour de devenir des vaches à hublot. On apprenait ainsi il y a quelques jours qu’un grand nombre de travailleuses des cannes à sucre du Maharashtra, en Inde, ont subi une ablation de l’utérus afin de ne plus avoir leurs règles… et donc de faire moins de pauses dans leur travail.

 

Si nous ne voulons pas abandonner l’éthique animale aux idéologues qui prétendent abolir la notion même d’espèce, il est urgent de rappeler que le respect de l’homme pour l’animal est d’abord un respect de l’homme envers lui-même. Exploiter n’est pas mépriser. Au nom justement de la dignité supérieure de l’homme, on ne peut pas tout faire subir aux animaux: le bon sens paysan, avant les excès de l’industrialisation de l’élevage, l’avait depuis longtemps compris. Ernest Hemingway l’a magnifiquement illustré dans son chef-d’œuvre, Le Vieil Homme et la Mer, qui montre la grandeur de l’homme dans son rapport à l’animal: à travers Santiago, l’humble pêcheur aux prises avec un poisson gigantesque, il se dit quelque chose de la noblesse humaine. L’homme comprend qu’il a partie liée avec la nature et peut alors murmurer avec Santiago, au moment où peu à peu sa barque est remorquée par le marlin qu’il tente de pêcher: «Poisson, je reste avec toi jusqu’à ma mort.»

 

Tel pourrait être le fondement d’une éthique animale qui ne soit pas un assaut déguisé contre la pensée humaniste mais qui découlerait au contraire de cet humanisme. Une telle éthique devrait conduire, nécessairement, à s’interroger sur la place qu’a la technique dans une société moderne dominée par le culte effréné du progrès, recherché à tout prix et au détriment de toute limite.

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