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16 mai 2020 6 16 /05 /mai /2020 09:46

 

« Les Français pourront partir en vacances en France en juillet et août », a déclaré Edouard Philippe, le Premier ministre, jeudi 14 mai, lors de la présentation du plan de soutien au secteur du tourisme. La crise du coronavirus a tellement anesthésié nos concitoyens que plus personne n’est choqué qu’un gouvernement décide des déplacements de sa population. Ceci dit, réjouissons-nous que des millions de compatriotes soient forcés de découvrir cet été les merveilles de leur magnifique pays. Pour nous donner l’eau à la bouche, voici ce très beau de l’écrivain Jacques Laurent (1919-2000) :

 

Ce qui singularise la France c'est la grâce admirable de ses transitions intérieures. L'élan latin n'y vient jamais buter tout bêtement dans l'élan germanique. Le Nord ni le Sud ne s'affrontent. Ce qu'il y a de plus originalement français c'est l'intercession réussie par la France entre races, traditions, et paysages de l'Europe.

Ce pays a été civilisé par sa moitié méridionale et gouverné par sa moitié septentrionale. De cet échange il est sorti un style, qui est unique. Pourquoi la France a-t-elle été civilisée par le Sud ? Parce que notre civilisation vient de Rome, relais d'Athènes. Pourquoi a-t-elle été gouvernée par le Nord ? Parce que l'ennemi était au nord. Pendant des millénaires, l'Artois et la Champagne ont servi de débouchés à une formidable pression originaire du centre de l'Asie. La bataille des Champs Catalauniques et la bataille de la Marne sont d'une même guerre soutenue par les habitants d'un pays que son relief avait militairement desservi au point de le rendre enviable : les Alpes et les Pyrénées lui offraient leurs remparts là où il n'en avait que faire alors qu'il était nu, mou au nord et à l'est, là où l'assaut barbare était permanent.

Si la France, stratégiquement vulnérable, a vécu, c'est par un effort de la volonté. Les frontières de l'Angleterre sont celles que la mer lui a faites. Sa silhouette est une œuvre de la nature. La France est l'œuvre des hommes. Elle s'est fait une tête au nord de la Loire, là où il y avait péril en la demeure. Et pour résister aux coups que l'on était trop tenté de lui asséner tant à l'Est que dans le Nord, elle a acquis et maintenu de terribles vertus belliqueuses qui lui étaient aussi nécessaires que ses fortifications sur la Meuse et qui firent d'elle une nation aussi portée sur les armes que la Prusse. Mais imaginez une Prusse dotée d'un arrière-pays qui baignât dans la Méditerranée, imaginez une Prusse qui eût raffolé des arts autant que de la guerre ! Mille ans d'histoire durant lesquels la France n'a cessé de faire effort pour se rassembler pièce par pièce, s'étayer en améliorant ses frontières, lui ont permis de défier victorieusement la pression qui, d'est en ouest, poussait l'humanité depuis les steppes jusqu'aux Pyrénées.

Le sens de l'Histoire eût voulu que la France n'existât pas, qu'elle fût balayée, tronçonnée, qu'elle demeurât informe et dépendante ; n'ayant cure du sens de l'Histoire, ses rois la fabriquèrent à contre-courant, minutieusement et, d'une civilisation qui était latine, d'une invasion constante qui était germanique, ils lui tirèrent une humeur compliquée où le Nord et le Sud s'équilibrent. Cet équilibre constitue le fait dominant de la société française.

Ce mélange n'a pas abouti à la naissance d'un peuple où se seraient simplement combinés des caractères germains et des caractères latins ; de leur association est sorti un caractère original.

Et puisque j'en suis à montrer en quoi la France ressemble et ne ressemble pas au reste de l'Europe, voici un paradoxe : c'est parce que la France ressemble plus à l'Europe qu'aucun autre pays qu'elle lui ressemble moins. En la France seule un cinéaste peu enclin aux grands voyages peut trouver facilement des décors naturels qui conviennent à un scénario qui se déroule soit en Grèce, soit en Espagne, soit en Italie, soit en Angleterre, soit en Autriche, en Russie ou en Suède. Cela est une singularité que l'on n'a pas assez remarquée : autour des Baux de Provence, c'est vraiment la Grèce, entre Nice et Arles, que d'Italie ! En forêt de Fontainebleau ou dans la plaine picarde, que d'extérieurs pour tourner la retraite de Russie ! Combien de références à l'Espagne quand on a passé la Garonne ! De Brest à Dunkerque, combien de cadres britanniques ou baltiques !

Les Anglais ont été les premiers touristes parce qu'ils aimaient la bruyante douceur des bords méditerranéens, tout comme les excès neigeux des montagnes et étaient obligés d'aller les chercher hors de chez eux, alors qu'un Français, les ayant chez lui, n'en cherche à l'étranger que des prolongements, des variations plus ou moins prévues sur un thème qui lui est familier. On sait à quel point la culture allemande s'est abreuvée aux sources grecques, a fouillé l'Histoire antique, chanté l'amour de la Méditerranée. Mais les Allemands, s'ils voulaient pèleriner aux sources, devaient avant de s'élancer vers la Méditerranée se munir d'un passeport ou d'un tank. Pour nous cette mer originelle n'est pas un rêve exotique. Nous avons droit en même temps à la lumière latine et aux brouillards anglais.

D'être la seule à rassembler les facettes de l'Europe, la France tire une spécificité.

Le Français en reçoit une disposition à se sentir encore chez lui quand il se promène à l'étranger tout heureux de retrouver l'Auvergne en Grèce, le Dauphiné en Yougoslavie, la Beauce en Hongrie.

Cette parenté du paysage français avec ceux de l'Europe incline depuis longtemps les Français à la fois à se sentir parents de tous les habitants de l'Europe et à se savoir uniques, puisqu'il est unique qu'un pays reflète un continent et le reflète en l'organisant à sa manière, à travers une multitude de transitions talentueuses.

(sous le pseudonyme de Cecil Saint-Laurent, dans La France que j’aime , éditions Sun, 1964)

Merci encore à EVR.

 

La France que j'aime...", Cécil Saint-Laurent, 1964 - Artzamendi

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