Merci à EVR pour ce texte.
Samedi 10 octobre, des associations familiales et de défense de la vie appellent à manifester partout en France contre le projet de loi bioéthique qui doit être examiné au sénat dans les prochaines semaines. Nous serons nombreux à exprimer notre refus de la marchandisation de l’humain sous couvert de bioéthique !
Dans le texte ci-dessous, le philosophe et mathématicien, Olivier Rey, auteur de Leurre et malheur du transhumanisme (Desclée de Brouwer, 2019, 196p), s’interroge sur ce « progressisme » qui nous gouverne et ces lois de bioéthique qui semblent n’être que des chambres d’enregistrement du « progrès » technique :
Pour les «progressistes», des innovations sociétales (…) sont absolument nécessaire , parce que c'est à peu près tout ce qui reste pour faire croire que malgré les difficultés qui s'accumulent pour la plus grande partie de la population, les choses « avancent ».(…)
Dans un entretien accordé (le 3 mars 2018) à Valeurs actuelles, Jean-François Delfraissy, l'actuel président du CCNE (Comité consultatif national d’éthique), a fait cette confidence étonnante : « Je ne sais pas ce que sont le bien et le mal. » Le dictionnaire définissant l'éthique comme la science du bien et du mal, il apparait que Delfraissv n'est sans doute pas à sa place à la présidence d'un comité d'éthique. En réalité si, il est à sa place, si l'on prend conscience que la bioéthique n'a pas été inventée pour soumettre les biotechnologies à des principes éthiques mais pour faire en sorte que l'éthique ne vienne pas entraver le développement des biotechnologies. En clair : la bioéthique est là pour approuver ce que l'éthique tout court réprouve. (…) Comme l'a résumé Jacques Testart : « La fonction de l'éthique institutionnelle est d'habituer les gens aux développements technologiques pour les amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd'hui. [...] Le Comité d'éthique est d'abord un comité de bienveillance de l'essor technoscientifique. Certaines technologies seraient très mal acceptées aujourd'hui, mais si, dans quinze ou vingt ans, elles sont bien acceptées, ce sera en partie grâce aux comités d'éthique, qui auront dit : "Il faut développer la recherche, il faut faire attention, il faut attendre un peu, il faut un moratoire..." Toutes sortes de propositions qui n'ont rien à voir avec un interdit et qui permettent de s'accoutumer à l'idée. » Autrement dit, l'état de l'opinion censé justifier l'évolution de la législation «bioéthique» est une opinion habilement travaillée, notamment par cet outil que sont les comités d'éthique qui doivent préparer le terrain, donner l'impression que tout est mûrement réfléchi et « strictement encadré ».(…)
Dans les années 1930, des eugénistes américains ont adressé une lettre à leur gouvernement pour l'alerter sur les efforts que déployaient les Allemands en matière d'eugénisme, et sur le danger que couraient les Etats-Unis à se laisser distancer dans ce domaine. Comme on voit, l'argument « ça se fait dans d'autres pays » peut servir à tout et n'importe quoi. Jean-François Delfraissy, dans l'entretien précédemment cité, remarquait : « En Chine, il y a une science qui avance, il y a des ruptures vis-à-vis des grands principes qui prévalent chez nous. » De là à penser que nous devrions nous-mêmes rompre avec ces principes, pour continuer à avoir « une science qui avance », il n'y a qu'un pas. Nous devrions aussi adopter le droit du travail chinois, pour avoir « une industrie qui avance », etc. (…) Par ailleurs, quoi de plus bête que la perpétuelle hantise du « retard français » ? Nous sommes très en retard sur ceci, nous sommes très en retard sur cela... Il y a une phrase de Sartre que j'aime bien : « Dans nos sociétés en mouvement, les retards donnent parfois de l'avance » (Les Mots).(…)
L'exploitation à outrance de la nature et sa sanctification sont les faces opposées d'une même médaille. Le point commun entre les deux attitudes, c'est une situation d'extériorité et de domination vis-à-vis de la nature : dans un cas pour l'asservir, dans l'autre pour la prendre sous sa protection. Cette situation d'extériorité empêche les protecteurs de la nature de reconnaître que nous sommes nous-mêmes porteurs d'une nature à respecter. Et leur hubris transformatrice, ne pouvant plus se tourner vers le monde, se retourne contre l'humain - comme si nous étions de la pâte à modeler, prête à épouser n'importe quelle forme. Qu'il appartienne aux hommes de se donner les lois qui régissent leurs cités n'implique pas qu'ils puissent se donner n'importe quelles lois, au mépris des données naturelles et des enseignements durement acquis de la tradition.
Ne pas être soumis à l'ordre des choses ne signifie pas en être indépendant, et la violence à l'égard de la nature en l'homme donnera des résultats aussi désastreux que la violence à l'égard de la nature extérieure. Il est regrettable que les plus farouches pourfendeurs du second type de violence puissent être aussi d'ardents promoteurs du premier. Sur le fond, nous ne devrions pas avoir à «protéger» la nature, nous devrions vivre en bonne intelligence avec elle.(…)
La fin des idéologies avait été décrétée, et (…) nous sommes plus que jamais dans le règne de l'idéologie et du parti dévot qui la porte. Il y a les bons, les progressistes, et les lépreux, à isoler derrière un cordon sanitaire. Les progressistes ont coutume de dénigrer ceux qui ne partagent pas leurs vues en les accusant de céder à la « peur », qui engendre cette horrible chose qu'est le « repli sur soi ». Mais premièrement, ce n'est pas pour rien que la peur fait partie des émotions de base : elle est loin d'être toujours mauvaise conseillère. Ensuite, il me semble que les progressistes d'aujourd'hui sont moins des parangons de courage que des gens si désemparés de voir leurs convictions se fracasser contre le réel qu'ils préfèrent se réfugier dans le déni, et criminaliser ceux qui ne partagent pas leur aveuglement.
extrait de l’article du Figaro du 2 octobre 2019