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10 avril 2021 6 10 /04 /avril /2021 11:39

Jeudi 8 avril, une proposition de loi du député radical de gauche Olivier Falorni pour «une fin de vie libre et choisie» a été débattue à l’Assemblée nationale. L’euthanasie, d’après les sondages, rencontre une adhésion très forte de la part des français. Et pourtant, une société qui légalise cette pratique fait un pas de plus vers la barbarie. Michel Hoellebecq pourfend depuis longtemps dans ses écrits l’euthanasie. Il reprend la plume pour intervenir dans ce débat public.

 

 Proposition numéro 1 : personne n’a envie de mourir. On préfère en général une vie amoindrie à pas de vie du tout ; parce qu’il reste de petites joies. La vie n’est-elle pas de toute façon, par définition presque, un processus d’amoindrissement ? Et y a-t-il d’autres joies que de petites joies (cela mériterait d’être creusé) ?

Proposition numéro 2 : personne n’a envie de souffrir. J’entends, de souffrir physiquement. La souffrance morale a ses charmes, on peut même en faire un matériau esthétique (et je ne m’en suis pas privé). La souffrance physique n’est rien d’autre qu’un enfer pur, dénué d’intérêt comme de sens, dont on ne peut tirer aucun enseignement. La vie a pu être sommairement (et faussement) décrite comme une recherche du plaisir ; elle est, bien plus sûrement, un évitement de la souffrance ; et à peu près tout le monde, placé devant une alternative entre une souffrance insoutenable et la mort, choisit la mort.

Proposition numéro 3, la plus importante : on peut éliminer la souffrance physique. Début du XIXe siècle : découverte de la morphine ; un grand nombre de molécules apparentées sont apparues depuis lors. Fin du XIXe siècle : redécouverte de l’hypnose ; demeure peu utilisée en France.

L’omission de ces faits peut expliquer à lui seul les sondages effarants en faveur de l’euthanasie (96 % d’opinions favorables, si je me souviens bien). 96 % des gens comprennent qu’on leur pose la question : « Préférez-vous qu’on vous aide à mourir ou passer le restant de vos jours dans des souffrances épouvantables ? », alors que 4 % connaissent réellement la morphine et l’hypnose ; le pourcentage paraît plausible.(…)

Les partisans de l’euthanasie se gargarisent de mots dont ils dévoient la signification à un point tel qu’ils ne devraient même plus avoir le droit de les prononcer. Dans le cas de la « compassion », le mensonge est palpable. En ce qui concerne la « dignité », c’est plus insidieux. Nous nous sommes sérieusement écartés de la définition kantienne de la dignité en substituant peu à peu l’être physique à l’être moral (en niant la notion même d’être moral ?), en substituant à la capacité proprement humaine d’agir par obéissance à l’impératif catégorique la conception, plus animale et plus plate, d’état de santé, devenu une sorte de condition de possibilité de la dignité humaine, jusqu’à représenter finalement son seul sens véritable.

Dans ce sens je n’ai guère eu l’impression, tout au long de ma vie, de manifester une dignité exceptionnelle ; et je n’ai pas l’impression que ce soit appelé à s’améliorer. Je vais finir de perdre mes cheveux et mes dents, mes poumons vont commencer à partir en lambeaux. Je vais devenir plus ou moins impotent, plus ou moins impuissant, peut-être incontinent, peut-être aveugle. Au bout d’un certain temps, un certain stade de dégradation physique une fois atteint, je finirai forcément par me dire (encore heureux si on ne me le fait pas remarquer) que je n’ai plus aucune dignité.

Bon, et alors ? Si c’est ça, la dignité, on peut très bien vivre sans ; on s’en passe. Par contre, on a tous plus ou moins besoin de se sentir nécessaires ou aimés ; à défaut estimés — voire admirés, dans mon cas c’est possible. Ça aussi, c’est vrai, on peut le perdre ; mais, là, on n’y peut pas grand-chose ; les autres jouent à cet égard un rôle tout à fait déterminant. Et je me vois très bien demander à mourir juste dans l’espoir qu’on me réponde : « Mais non mais non, reste avec nous » ; ce serait tout à fait dans mon style. Et en plus j’avoue cela sans la moindre honte. La conclusion, j’en ai peur, s’impose : je suis un être humain absolument dépourvu de toute dignité. Un élément de baratin habituel consiste à affirmer que la France est « en retard » sur les autres pays. L’exposé des motifs de la proposition de loi qui va prochainement être déposée en faveur de l’euthanasie est à cet égard comique : cherchant les pays par rapport auxquels la France serait « en retard », ils ne trouvent que la Belgique, la Hollande et le Luxembourg ; je ne suis pas franchement impressionné.(…),

Quand (Anne Bert*)  affirme : « Non, l’euthanasie ne relève pas de l’eugénisme » ; il est pourtant patent que leurs partisans, du « divin » Platon aux nazis, sont exactement les mêmes. (…) Immédiatement après, elle lâche carrément le morceau en affirmant que l’euthanasie « n’est pas une solution d’ordre économique ». Il y a pourtant bel et bien certains arguments sordides que l’on ne rencontre que chez des « économistes », pour autant que le terme ait un sens. C’est bien Jacques Attali qui a insisté lourdement, dans un ouvrage déjà ancien, sur le prix que coûte à la collectivité le maintien en vie des très vieilles personnes ; et il n’est guère surprenant qu’Alain Minc, plus récemment, soit allé dans le même sens, Attali c’est juste Minc en plus bête (…).

Les catholiques résisteront de leur mieux, mais, c’est triste à dire, on s’est plus ou moins habitués à ce que les catholiques perdent à chaque fois. Les musulmans et les juifs pensent sur ce sujet comme sur bien d’autres sujets dits « sociétaux » (vilain mot), exactement la même chose que les catholiques ; les médias s’entendent en général fort bien à le dissimuler. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, ces confessions finiront par plier, par se soumettre au joug de la « loi républicaine » ; leurs prêtres, rabbins ou imams accompagneront les futurs euthanasiés en leur disant que là c’est pas terrible, mais que demain sera mieux, et que même si les hommes les abandonnent, Dieu va s’occuper d’eux.(…)

Demeurent les médecins, en qui j’avais fondé peu d’espérance, (…) certains d’entre eux résistent, se refusent obstinément à donner la mort à leurs patients, et (…) ils resteront peut-être l’ultime barrière. Je ne sais pas d’où ça leur vient, ce courage, c’est peut-être juste le respect du serment d’Hippocrate : « Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion ». C’est possible ; ça a dû être un moment important, dans leurs vies, la prononciation publique de ce serment. En tout cas c’est beau, ce combat, même si on a l’impression que c’est un combat « pour l’honneur ». Ce ne serait d’ailleurs pas exactement rien, l’honneur d’une civilisation ; mais c’est bien autre chose qui est en jeu, sur le plan anthropologique c’est une question de vie ou de mort. Je vais, là, devoir être très explicite : lorsqu’un pays – une société, une civilisation – en vient à légaliser l’euthanasie, il perd à mes yeux tout droit au respect. Il devient dès lors non seulement légitime, mais souhaitable, de le détruire ; afin qu’autre chose — un autre pays, une autre société, une autre civilisation — ait une chance d’advenir. (Michel Houellebecq dans Le Figaro du 06 avril 2021)

* : écrivain (1958-2017), militante de l’euthanasie, qui a souhaité se faire euthanasier et a reçu le 2 octobre 2017 dans un hôpital belge une injection létale.

Michel Houellebecq: «Une civilisation qui légalise l'euthanasie perd tout  droit au respect»

Merci à EVR.

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