Quelques vérités à propos de la presse
Nos lecteurs savent que pour endiguer la crise qui frappe toute la presse, le gouvernement a émis en début d'année une série de propositions sonnantes et trébuchantes. A ceux de nos amis et adversaires qui n'aiment rien tant que donner des leçons et proposer des solutions, nous avons maintes fois répondu que la baisse des lecteurs est générale dans la presse d'information politique et religieuse. Est-ce une
simple question de génération, d'assujettissement aux techniques nouvelles? sans doute. Mais nous avons déjà souligné que le journal - et davantage la revue - apportent le recul indispensable devant la masse des événements. L'éclairage et la mise en perspective demeurent une démarche indispensable. Démarche qui n'a jamais été la plus courante mais qui demeure la seule pertinente pour ouvrir les intelligences. Même si les preuves chiffrées de désintérêt sont indéniables, on trouve toujours une foule de solides lecteurs désirant comprendre les hommes et les événements.
Ces vérités de bon sens, je les ai retrouvées dans un entretien donné par le philosophe Marcel Gauchet au quotidien Le Monde ( 07/02/09). Historien et philosophe, rédacteur en chef de la revue Le Débat, il est l'auteur de nombreux essais, par exemple Le Désenchantement du monde (Gallimard, 1985 et Folio) ou Les conditions de l'éducation (Stock, 2008). Il estime que la crise du journal-papier n'est pas seulement due à la chute de la publicité et de la demande mais aussi de l'offre : « ... je crois, a-t-il
confié, qu'on a fait fausse route en supposant que tous les lecteurs étaient rentrés dans l'ère du «zapping» - brièveté, proximité, images. On est parti d'une définition très étroite de la demande pour constater à l'arrivée qu'elle n'est pas au rendez-vous. On a d'un côté des lecteurs à la recherche d'un contenu qu'on ne leur offre plus, et de l'autre, une presse à la recherche d'un public qui n'existe pas ».
M. Gauchet estime que les efforts des journaux qui cherchent à flatter les «jeunes lecteurs» en réduisant constamment la taille des articles, en privilégiant le « vécu », en se privant de « l'expertise de journalistes hautement compétents », ces efforts sont suicidaires. Et plutôt que de chercher à tout prix de « nouveaux lecteurs » hypothétiques, il juge plus judicieux de ce « recentrer sur le lectorat motivé ». A la journaliste qui objecte que, ce faisant, il penche vers « une presse élitiste », il l'admet : « Que demande quelqu'un qui cherche à comprendre l'actualité?^Pas qu'on lui répète ce qu'il peut trouver partout. Il demande de la mise en perspective et du recul, autrement dit de l'histoire et de la géographie ». Comme nous, il déplore le niveau général de la presse, se limitant à une actualité « de plus en plus dépourvue de mémoire » et une domination de l'information domestique. Il pense que la presse écrite va, peut-être pour un temps, devenir plus confidentielle, mais que ses qualités vont apparaître: fournir des clés, être capable d'exploiter les ressources proposées par les nouvelles technologies. Au moment où à travers le Net, des milliers de personnes multiplient les interventions et avis divers, on a plus que jamais besoin de voir clair. Là est bien la question. Devant la dictature du superficiel et de l'insignifiant, il faut choisir.
P.R., in Lectures françaises, n°624, avril 2009