L’ancien marin, acteur et écrivain, terrassé par le cancer à 63 ans.
C’était son côté Dorian Gray : longtemps, la beauté idéale de Bernard Giraudeau a semblé hors de portée des ravages du temps. Et puis, la vie a cette façon de se venger de ceux qu’elle a trop abondamment gâtés, et de rappeler aux mortels que nous sommes que toute réussite ici-bas est friable, et qu’il n’y a aucune grâce qui ne se paie de son lot d’épreuves. Après dix ans de lutte contre le cancer, l’acteur et écrivain, âgé de 63 ans, a finalement succombé, samedi 17 juillet, à une maladie contre laquelle il n’avait jamais cessé de se battre.
Une profondeur sans prétention et une sincérité sans faille
Comédien populaire au meilleur sens du terme, Bernard Giraudeau a connu une carrière jalonnée de succès. À l’écran, il alterne films grand public (la Boum, Rue Barbare, les Spécialistes, Ridicule) et cinéma d’auteur (Passion d’amour de Scola, Hécate d’après Paul Morand, Une nouvelle vie d’Assayas). Réalisateur, il marie exigence et limpidité avec deux films marqués par son souci humaniste : l’Autre et les Caprices d’un fleuve.
Au théâtre, après un premier prix de comédie au conservatoire, en 1974, on le voit dans la Reine de Césarée de Brasillach, dans La guerre de Troie n’aura pas lieu ou dans Anouilh : la Répétition (ou l’Amour puni), qu’il joue avec Anny Duperey qui partagea sa vie dix-huit ans durant et lui donna deux enfants.
Mais ce métier d’acteur n’était qu’une des nombreuses vies de Bernard Giraudeau. Par tradition familiale comme par goût du grand large, il s’embarque à 16 ans sur la Jeanned’Arc, sur laquelle il fera deux tours du monde. Il restera quatre ans dans la Royale, et l’une de ses grandes fiertés sera, plus tard, d’obtenir le titre d’“écrivain de marine”, qui vaut à l’ancien quartier-maître le rang de capitaine de frégate. Car Giraudeau a abordé la littérature en 2001, avec le Marin à l’ancre, qui rassemble dix ans de lettres envoyées à un ami myopathe pour lui permettre de connaître par procuration l’ivresse du voyage. Plusieurs livres suivront, tous couronnés de succès : quoi qu’il entreprît, Bernard Giraudeau savait toucher le coeur du public par une profondeur sans prétention et une sincérité sans faille.
Sa dernière aventure aurait pu rester privée, mais il avait choisi de mettre sur la place publique ce voyage au long cours avec le cancer en passager indésirable : comme pour donner du coeur à ceux qui le vivent parfois comme une maladie honteuse. Son témoignage, il le donnait sur le site La Maison du cancer ou, récemment, dans une longue interview à Libération, dans laquelle il proclamait que son cancer avait « un sens », comme un signal d’alarme dans une vie qui prenait mauvaise tournure : « C’était justifié que les choses se passent comme ça. […] Je voyais bien que j’allais vers quelque chose qui me rapprochait de l’abîme. […] Un manque de sens, de profondeur, de recherche sur l’essentiel… »
Et confiait, malgré l’épuisement, son espérance : « Je suis certain qu’il y a une force de l’esprit qui me permettrait de retrouver un équilibre. Cela me fait du bien de méditer, d’aller vers ce point d’équilibre. Ou simplement savoir qu’il y a un point d’équilibre, la note juste. »
Laurent Dandrieu, Valeurs actuelles, 22/07/2010