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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 20:24

 

Idées. Le bougisme à l’origine de la crise financièreBlaise Pascal et la dette


Si le plus grand malheur de l’homme est de ne savoir demeurer seul dans une chambre, selon la fameuse mais bien trop peu méditée sentence de Pascal, il faut croire que les hommes sont aujourd’hui plus malheureux qu’ils ne le furent jamais. Que d’agitations
! La caricature rituelle en fut une nouvelle fois donnée par ce qu’il est convenu d’appeler “les fêtes”. 

Non sans abus depuis que chacun se croit tenu au délire festif à chaque bout de son champ tout au long de l’année; mais, à vrai dire, rien n’est plus éloigné de la méditation, de la prière ou de la simple contemplation pascalienne que l’idéal type de l’homme contemporain, infatigable voyageur si possible universel, producteur rompu aux dures lois du “travailler plus”, consommateur virevoltant sur la pointe des plus hautes technologies. C’est au point que, aujourd’hui, rien n’est plus effrayant pour la plupart des hommes que ce qui se nomme “être seul”, et qui devrait se dire plutôt, et plus raisonnablement, être dans la compagnie de soi-même. Combien sont capables de se dire chaque matin, comme le maréchal Hyacinthe Ti­moléon de Cossé-Brissac: « Quelle chance est la tienne, Timoléon de Brissac! Tu vas encore passer une journée entière en ta compagnie »? Renaud Camus, à qui je dois de connaître cet admirable trait, ajoute: « Il m’arrive de m’exaspérer, certes, et je ne suis pas le seul. Mais dans l’ensemble nous nous entendons bien, moi et moi. » Qui s’entend bien avec soi désormais, et n’éprouve de plus pressant besoin que d’être en la compagnie de lui-même?

Hélas, il faut bien le dire, la conséquence de l’aimable et presque suffisante compagnie de soi, le piège du délicieux tête-à-tête intérieur, le drame enfoui au fin fond du souverain repos de la prière, de l’inépuisable plaisir de la connaissance (la seule des passions qui ne déçoive jamais) et de l’inviolable joie de contempler, de se promener, d’écouter ses vieilles cires ou d’épousseter ses chers tableaux est que toutes ces occupations sont fort improductives, peu communicantes, peu consommatrices et conséquemment, il faut bien le dire, pas très bonnes pour l’emploi. Décembre est un bon mois, tout le monde vous le dira, mais janvier, quand tout le monde rentre chez soi, est catastrophique. Pendant que le reclus souffle, c’est-à-dire s’adonne aux divers bonheurs de ses solitudes particulières, la machine ne tourne guère, le commerce s’étiole, pour un peu la patrie serait en danger.

Il est donc entendu, et réentendu sur tous les tons depuis un siècle, que l’homme moderne doit bouger, et résolument tourner le dos au précepte pascalien, quand bien même n’en a-t-il pas ou plus les moyens – ne serait-ce que financiers. C’est un trait remarquable des âges bougistes de donner à entendre que, pour quiconque sort de sa chambre, et s’applique à devenir cet Homo atlanticus auquel l’American way of life fournit depuis des générations l’éden obligatoire, il y a dans le mouvement plus de plaisirs à trouver que de peines, en termes économiques plus d’heureuse consommation que de malheureux travail, plus d’occasions de dépenses que de gains, mais que pareil déséquilibre n’est pas grave, attendu que, merveille des merveilles, le crédit supplée à tout. Achetez, voyagez, suivez le mouvement, empruntez s’il le faut – et même s’il ne le faut pas.

Et comme, tout heureux de fuir la solitude, l’immobilité et le silence, nous fûmes nom­breux à le croire! Comme nous célébrâmes cette Providence toute bancaire qui finit par se nommer “jeu d’écritures”; comme nous avons aimé, non point seulement la croissance mais l’éternelle anticipation sur la croissance, que l’on crût au ciel ou que l’on n’y crût pas, que l’on fût de droite ou de gauche – de gauche plus encore, il faut le dire, les “forces du progrès” ayant été les plus puissantes armes de la nasse financière où, comme de juste, nous avons fini par nous trouver…

« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure », disait Bernanos. Oui, mais la fuite hors de sa chambre, c’est-à-dire hors de soi, de ses héritages et pour beaucoup d’entre nous de notre civilisation (une civilisation qui plaça des siècles durant la connaissance, la contemplation et l’oraison au-dessus de toute autre activité), le refus obstiné de commercer avant tout avec soi-même au bénéfice des plus délirantes emprises de la marchandise et des plus frénétiques “dépassements”, y compris, soit dit en passant, le fameux dépassement national, tout cela a un prix, dont nous découvrons aujourd’hui l’océan: rappelons par exemple, et puisqu’ils se donnèrent pour exemples, que l’endettement total des États-Unis atteint 340 % de leur PIB, et que chaque exemplaire citoyen américain, toutes dettes confondues, privées et publiques, doit aujourd’hui près de 400000 dollars. À qui? Au monde, à l’avenir – pour le plus grand malheur du monde, de l’avenir, et de lui-même, ce malheur universel dont un sage disait qu’il venait tout droit de ce que nous ne savons ni même ne pouvons rester solitaires, immobiles et silencieux dans notre chambre… 

 

Paul-Marie Coûteaux,essayiste

Valeurs Actuelles,  le 05/01/2012 

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