Le thème traité ici par Tamara de Lempicka est assez original dans l’histoire de la peinture occidentale. Sans doute parce que, si l’exode est un drame de tous les temps, le déracinement des personnes qui s’expatrient en masse pour des raisons politiques ou économiques est l’une des caractéristiques de la fin du XIXè et de l’ensemble du XXè siècles. Souffrance humaine que le peintre a elle-même connue puisque, née en Pologne, immigrée en Russie pour s’initier à la peinture et s’y marier, elle a du fuir sa seconde patrie lors de la Révolution d’Octobre et se réfugier en France.
Drame de l’exode qu’elle nous livre dans ce tableau avec une certaine maestria.
L’absence d’un second plan authentifiable permet de concentrer l’attention du spectateur sur les deux personnages qui se présentent à nous en gros plan. Derrière eux, une lumière légèrement violacée découpe leur silhouette. Mais c’est un éclairage violent, venant de la gauche de la toile, qui marque les traits et souligne les postures de ces deux êtres à la dérive. Un grand adolescent, aux traits androgynes, se blottit contre une femme sans âge, qui doit probablement être sa mère. La facture de Tamara de Lempicka est à ce point ambiguë que beaucoup croient y voir à l’inverse une jeune fille un peu « garçonne » appuyée contre le torse de son père. Le style très reconnaissable du peintre, inspiré du cubisme, qui lisse les nuances du relief et en accuse les lignes dominantes, est en partie responsable des hésitations des spectateurs.
Mais le consensus est total quant à l’émotion qui se dégage et aux sentiments bouleversants qui sont ici exprimés.
Extrait du Permanences n°464