Les Schtroumpfs: une communauté fermée, nazie et stalinienne
Quelle fureur s’est emparée de l’esprit d’Antoine Buéno pour assassiner moralement à ce point les Schtroumpfs? Un vrai désir d’analyse? Ou un coup de pub? Monsieur Buéno se définit prospectiviste. Il souhaite explorer dans l’écrit ce que pourrait devenir la société, en particulier suite à la transition induite par les chocs énergétique, démographique et climatologique.
Mais alors que vient faire cette monographie sur les Schtroumpfs dans ce projet? Le lien n’est pas apparent. Peu importe, concentrons-nous sur le sujet. Et en préambule sur cette affirmation:
«Dans mon livre, je montre en quoi le village des schtroumpfs nous présente un archétype d’utopie totalitaire emprunt de stalinisme et de nazisme.»
Rapidement ses arguments sont les suivants:
- le fait de vivre en autarcie, sans contact avec le monde extérieur, fermé aux autres;
- la couleur unique qui laisse entendre une impossibilité à vivre la différence;
- le racisme, en particulier dans l’histoire du Schtroumpf noir;
- le racisme encore, avec une Schtroumpfette aux cheveux trop blonds,
- racisme toujours avec le sorcier Gargamel qui ressemblerait à un juif
- stalinien et nazi à cause de la société collectiviste dirigée de manière autoritaire par un grand Schtroumpf.
Voilà...
Mais voyons ce qu’il dit précisément des Schtroumpfs noirs:
«La coloration noire du derme est la marque d'une dégénérescence dangereuse. De plus, le comportement des schtroumpfs noirs est caractéristique. Ils ont perdu toute forme d'intelligence. Réduits à l'état d'êtres primitifs, ils se déplacent en faisant des bonds et en hurlant "Gnap! Gnap! Gnap!". C'est à peu près la manière dont pouvaient parfois être perçus les Africains par les blancs colonisateurs au XIXe siècle, surtout les Belges comme Peyo. Les schtroumpfs noirs sont plus probablement des schtroumpfs nègres. Et ce, d'autant plus que leur unique obsession est de "croquer" les schtroumpfs bleus, métaphore grossière du cannibalisme. Il est remarquable que, chronologiquement, le tout premier danger contre lequel les schtroumpfs aient à se prémunir soit une dégénérescence raciale présentée comme une maladie contagieuse. Dans cette histoire, la corruption des organismes fait peser sur le groupe entier un risque d'extinction. La pureté du sang est vitale.»
Le mot «noir» devrait-il être banni du langage? Et jaune aussi alors? Et brun? Et puis blanc tant qu’on y est, vu que le blanc serait le grand méchant? Plus sérieusement le mot noir est inscrit dans l’inconscient comme signifiant l’obscurité, la peur, le danger, la menace. On dit bien «idées noires». Si l’on disait «idées bleues» ou «idées vertes» cela n’aurait pas le même sens.
On a même des connotations paradoxales autour du noir. Ainsi Zorro est habillé de noir, masque compris. Il est pourtant justicier et agit pour le bien. La menace de justice! Le noir n’est donc pas simplement synonyme de mal, de cannibalisme ou de maladie contagieuse. On voit que les choses ne sont pas aussi simplistes que présentée par Antoine Buéno.
Sur le monde corporatisme en vigueur chez les nazis l’auteur dit ceci:
«La société nazie, et l'Italie fasciste avant elle, étaient organisées sur un modèle corporatiste. C'est aussi le cas du village des schtroumpfs. Comme nous l'avons vu, la majorité des schtroumpfs sont indifférenciés. Mais lorsqu'ils ne le sont pas, c'est souvent par leur profession qu'ils sont désignés. Leur rôle social les définit.»
Les Schtroumpfs sont des êtres plus assimilables à un troupeaux de petites bêtes gentilles qui singent un peu le monde humain, mais s’en distinguent nettement par justement le sens de la communauté. Sens de la communauté que l’on retrouve presque à l’identique dans Astérix quand le village gaulois est attaqué ou quand il se retrouve pour le banquet final. On ne prétend pourtant pas qu’Astérix soit un modèle nazi.
Chez les Schtroumpfs le principe du chef débonnaire donne plus l’idée d’une unité et d’une communauté de type aborigène dirigée par un sage que celle d’un führer. Il faut vraiment pousser loin et tordre l’image pour en arriver à une vision aussi violente des Schtroumpfs.
L’auteur analyse également l’aspect «nature et beaux sentiments» des Schtroumpfs, les comparant au romantisme allemand et au Moyen-Âge, qui auraient été les fondements de l’idéologie nazie. Donc si l’on aime la nature, si l’on imagine comme dans l’animisme que les arbres représentent des entités, on serait assimilables à des nazis?
L’analyse est singulièrement superficielle. C'est typique d'une grille de lecture exclusivement politique et idéologique, et qui ne sait plus mesurer les choses à leur réelle importance. Ah, pauvres Schtroumpfs, à quelles fins êtes-vous utilisés?
Heureusement je doute fort que cette monographie aboutisse à mettre leurs aventures à l’index, et je n’ai pas vu qu’un enfant ou un adulte qui les lit finit un album en levant la main droite!
"La Tribune de Genève" , 7 mai 2011