Moi, pasteur d'âmes, je dois dire un mot de quelques-uns des problèmes de conscience que posent cette migration, ce vagabondage, cette bougeotte que l'on appelle au choix week-end, long week-end, congés, vacances, tourisme, villégiature. (…)
Pétrarque qui fut aussi alpiniste et voyagea autant qu'il était possible à son époque en Italie et à l'étranger, « en quête de lieux chers, d'amis chers, de livres chers ». Voyager convenait plus à sa curiosité et à sa soif de connaissances qu'à ses finances, au point que Monte, son intendant, lui reprochait souvent : « Tu es continuellement sur les routes,ne t'étonne pas si tes poches sont toujours vides ».
Voici une première réflexion : n'y a-t-il pas un gaspillage injustifié à voyager ainsi, sans limites raisonnables ? Et cela n'est pas l’'exception, la « frénésie des vacances », qui fait faire des pas plus longs que la jambe est au moins aussi connue aujourd'hui que du temps de Goldoni ; les devoirs de conscience sont négligés et avec eux les vertus familiales d'économie, de sens de la mesure, d'épargne.
Une autre réflexion. On assure que l'on voyage pour apprendre, pour augmenter sa culture, pour être à même d'entretenir honorablement une conversation, pour élargir son esprit par les beautés artistiques et naturelles de l'étranger. Tout cela est vrai, à condition que l'on voyage dans le calme, avec les haltes opportunes, la préparation nécessaire, l'oeil attentif aux éléments utiles, essentiels.
Il est certain que la découverte de la grandeur et de la beauté du monde peut aider à s'améliorer moralement, à se sentir plus humbles devant Dieu, plus proches de lui et plus reconnaissants, elle peut contribuer à renforcer l'unité avec nos frères les hommes.(…)
Il y a ceux qui paraissent imperméables à l'histoire locale, tel le guide qui avait accompagné Fucini dans sa visite de Sorrente. « Maintenant — dit l'écrivain — pendant que je mange un bout, allez un peu demander où se trouve la maison du Tasse ! » Le guide partit, revint et rendit compte : « Monsieur, ce monsieur n'habite pas ici ! ». Il existe aussi le touriste fanfaron, qui exagère, invente, stupéfie en décrivant des incidents ou des curiosités comme s'il était Marco Polo, Pigaffeta ou Cabot...
Vacances supposent détente, repos. Mais savoir se reposer n'est pas donné à tout le monde. C'est comme pour la poussière : certaines ménagères croient l'enlever alors qu'elles la déplacent simplement d'un lieu à un autre. La famille qui pour être dans le vent débarque, en plein mois d'août, dans une station grouillante, quand les hôtels sont pleins à craquer, et qui doit s'entasser dans une chambre ou sur des lits de fortune, billard ou transat, ne se repose sûrement pas ; elle échange une fatigue contre une autre fatigue, un ennui contre un autre ennui.(…) Combien rentrent des congés fourbus et ennuyés parce qu'ils ont choisi un lieu trop mondain ou trop bruyant, qu'ils n'ont pas su se limiter dans les excursions ou se sont laissés entraîner dans des divertissements, des conversations, des discussions excitantes et fatigantes.
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Les dommages spirituels causés par le mauvais exemple. Le vacancier, le touriste, sont observés d'un oeil admiratif ou au moins curieux, spécialement par les plus pauvres et les plus jeunes. Généralement le touriste fait ce raisonnement : « Maintenant, je suis hors de chez moi, je peux donc prendre un peu de liberté avec la morale ». Ce devrait être le contraire. « Hors de mon milieu, je suis plus observé, je serai donc encore plus irréprochable que chez moi ».(…) J'aimerais qu'on choisisse pour les vacances des régions tellement chrétiennes — par l'esprit, les traditions, la vie réelle — qu'on puisse en dire ce que la première sainte des Etats-Unis, Élisabeth Seton a écrit d'un village toscan où elle avait séjourné un peu : « Je vous assure que devenir catholique (auparavant elle était protestante) fut la conséquence naturelle de mon séjour dans un pays catholique ».
Je pense à la manière de s'habiller, (…) On dit pour les vêtements : « Désormais tous le font » ! Ce n'est pas vrai, tous ne le font pas, même si je dois admettre avec amertume que des familles qui semblent saines, sont en train inexplicablement de céder sur ce point. Et quand bien même beaucoup ou la plupart le feraient,
une chose mauvaise reste mauvaise même si tous la font. On dit aussi : « Il fait chaud ! » Mais il y a sur le marché des tissus si légers qu'ils permettent parfaitement de se défendre de la chaleur, même en allongeant les vêtements de quelques dizaines de centimètres. (…)
Il y a quelques années, un évêque allemand recommandait de ne pas exploiter injustement les touristes.
Cette recommandation n'est pas sans fondement. (…)La vertigineuse montée des prix dans certaines stations aux périodes de pointe est en revanche bien réelle. On considère les vacanciers sous le seul point de vue commercial : ils « apportent de l'argent », ils « ont de l'argent » et « peuvent payer ». On oublie qu'ils ont travaillé toute l'année à l'usine, au bureau, dans les villes humides et enfumées, qu'ils n'ont que deux ou trois semaines d'arrêt et éprouvent un besoin réel de repos, d'air, de soleil. On ne se souvient pas ou pas assez qu'ils sont des frères et qu'on leur doit une charité sincère, doublée d'une hospitalité cordiale.
Saint Pierre nous recommande avec force de « pratiquer l'hospitalité les uns envers les autres, sans murmurer » on pourrait à cette occasion faire cet ajout : « Sans murmure et sans... coup de fusil ! »
Une dernière réflexion : si nous allons en vacances, le Seigneur, lui, ne se met pas en congé. Il ne veut pas que son jour, le dimanche, soit négligé et encore moins profané. Il s'agit non seulement d'une marque extérieure de respect, mais aussi de notre propre intérêt. Quand je dis « son jour », je ne pense pas uniquement à ce petit morceau de journée que dure une messe. Le dimanche chrétien est une journée complète qui englobe diverses réalités (…) Le dimanche est la récompense et la garantie de notre vie d'hommes. Car si nous sommes capables de bien vivre le dimanche, il est presque certain que nous vivrons bien le reste de la semaine. C'est pour cela que le Seigneur y tient tellement et que nous devons tout faire pour ne pas l'abandonner.
Tourisme ou pas, congé ou pas, notre âme d'abord et avant tout !
merci à EVR...