Selon le bilan démographique sur la population française 2019 de l’Insee publié mardi 14 janvier, les naissances baissent pour la cinquième année consécutive: 753 000 naissances, soit 6000 de moins qu’en 2018. La réforme des retraites qui préoccupe tout le pays n’évoque pas la démographie française. Et pourtant les naissances d’aujourd’hui feront les actifs de demain (*). Pour François Martin, diplômé de l'ESSEC, expert en développement sur les pays émergents, tout ce que l’Etat développe aujourd’hui en matière de réformes « sociétales » nous éloigne de la mise en œuvre de la bonne solution pour traiter la question des retraites :
Beaucoup de débats ont lieu (…) sur la question des retraites. Pourtant, aucun ou presque ne semble aborder l’essentiel : la question démographique.
(Derrière) la défiance des Français, (…) au-delà du fait que le chef de l’Etat, par des déclarations contradictoires, a sans arrêt entretenu le flou, ne permettant pas à l’opinion de savoir véritablement ce qu’il voulait faire, il y a peut-être aussi, au départ, une question qui est mal posée.
D’abord, le terme de retraite « par répartition » est mal choisi. Il faudrait plutôt dire « par investissement », puisque les cotisations payées par les actifs d’aujourd’hui ne servent pas à payer leurs retraites futures, mais bien celles des retraités d’aujourd’hui.
Aussi, vouloir mettre en place une réforme des retraites sans aborder la question de la démographie, c’est vouloir souffler sur un feu pour en augmenter la température, tout en y mettant de moins en moins de bois. Il n’y a pas besoin d’être un grand économiste, ni un grand démographe, pour se rendre compte que rapidement, le feu va s’éteindre.
Or, c’est précisément ce que l’on cherche à faire, en tentant de jouer sur les trois paramètres que sont la hausse des cotisations, la baisse des pensions (solutions que le gouvernement semble avoir écartées) ou bien l’augmentation de la durée du travail. Mais si notre population continue à vieillir, et vu l’allongement de l’espérance de vie, le poids des retraités augmentera encore et toujours par rapport au poids des actifs. Rapidement, il faudra à nouveau rallonger la durée du travail, et aussi jouer sur les autres paramètres, de sorte que la situation deviendra intolérable soit pour les actifs, soit pour tout le monde.
La question de la sexualité est donc essentielle, ce qui prouve une fois de plus à quel point elle est politique (c’est même la question politique par excellence), alors que d’aucuns veulent en faire une question privée.
Jusqu’à présent, toutes les civilisations de la terre ont survalorisé la sexualité reproductive au détriment de la sexualité récréative, considérant, à juste titre, que leur priorité stratégique tenait à la naissance et à l’éducation des futures générations. Pour des raisons qui tiennent essentiellement à la logique du marché, la modernité libérale a fait le contraire. Des comportements « libres » ont été promus, c’est-à-dire des comportements tournés vers la satisfaction des désirs individuels, plutôt que des comportements « responsables » tournés vers la satisfaction sage des désirs familiaux. La modernité libérale s’est évertuée à casser la logique naturelle et immémoriale de la chaîne affectif/sexuel/génital/éducatif, avec deux « explosions atomiques », deux révolutions sociétales majeures, l’une étant la « sexualité sans procréation » (lois Neuwirth et Veil), l’autre étant la « procréation sans sexualité » (loi dite de la « PMA pour toutes »).
En acceptant ces réformes et ces « avancées », faites au détriment de la sexualité « familiale », nos gouvernements ont fait une faute stratégique majeure. Ils n’ont plus accordé une priorité absolue à la sexualité reproductive pour la « fabrication » des futures générations, et ont relégué cette nécessité à la marge de notre projet social collectif. Ils ont cru naïvement que la survie future de notre nation et de notre civilisation pourrait découler de la puissance économique acquise par le développement du marché. Or ceci est un contresens stratégique, puisque la logique du marché – à cause des priorités données aux comportements individuels tournés vers la recherche de l’argent, du sexe, du pouvoir et du divertissement – tend à détruire les structures familiales susceptibles de générer et éduquer nos enfants. Mais quelle puissance collective pourrons-nous demain mettre en œuvre si nous n’avons pas pris la peine de former ceux qui devront l’activer?
Faute d’aborder la question des naissances, les débats actuels sur les retraites donnent l’impression de ces hamsters qui tournent sans fin dans des roues, sans jamais trouver quelque sortie. Tout ce que l’Etat développe aujourd’hui (abandon du soutien des familles, dénigrement du mariage, promotion du féminisme radical, des sexualités non reproductives de toutes sortes et de la sexualité de divertissement) nous éloigne de la mise en œuvre de la bonne solution.
Dès lors, ne reste qu’une solution: demain, ce seront les plus faibles qui « trinqueront ».
Contrairement à ce que nous promet le gouvernement la main sur le cœur, il baissera les pensions des petits retraités. C’est d’ailleurs à ça que la retraite aux points servira, puisque dans un système structurellement déficitaire, parce qu’on ne met plus de bois dans le feu, seule la baisse de la valeur du point permettra de rétablir les équilibres. Ce jour-là, on dira « nous sommes désolés, il le faut bien ! ». Les actifs, les protégés et les privilégiés détourneront pudiquement les yeux, pour ne pas voir nos vieillards mourir dans la misère… ou, qui sait, se voir proposer l’euthanasie ?
(dans Causeur du 2 décembre 2019)
(*): le rapport entre actifs et retraités est passé de 4 en 1960 à 1,7 aujourd’hui
Merci à EVR.