Il y a 30 ans, le mur de Berlin tombait, entraînant dans sa chute les régimes communistes d’Europe centrale et orientale et l’URSS. Chacun pensait que le spectre du communisme avait disparu de l’horizon de l’histoire. Or aujourd’hui, le communisme est encore au pouvoir dans une partie du monde (Chine, Corée du nord, Vietnam, Cuba) et nombre de nos « intellectuels » refusent de condamner les crimes commis par cette idéologie. L’essayiste, Thierry Wolton, auteur de l’Histoire mondiale du communisme (3 tomes chez Grasset) dénonce ce négationnisme de gauche (*) :
Le négationnisme (…) désigne en général ceux qui nient l'ampleur de l'extermination des juifs par les nazis et qui contestent (…) notamment l'usage des chambres à gaz. C'est pour distinguer ce négationnisme-là que je parle de négationnisme de gauche afin de qualifier ceux qui minimisent l'ampleur des crimes communistes au XXe siècle, voire qui les justifient au nom d'une nécessité révolutionnaire, comme si la pureté de la cause était plus excusable que la pureté de la race dans le cas du nazisme. (…) Le négationnisme de gauche, celui des crimes communistes, ne rencontre pas la même réprobation que le négationnisme des chambres à gaz. (…)
La seule quantification (de morts imputables au communisme) dont je veux bien parler concerne les famines qu'ont connues un grand nombre de pays communistes (URSS, Chine, Cambodge, Corée du Nord… ).(…) Si l'on additionne ces famines, perpétrées par volonté politique, on arrive à un chiffre compris entre 50 et 70 millions de morts, ce qui équivaut au nombre des victimes des deux guerres mondiales… (…) Pareille politique criminelle est unique dans l'histoire de l'humanité, ce qui fait la singularité du communisme.
(Pour comprendre le silence général qui entoure les crimes communistes), il faut revenir à ce que fut le communisme dans l’imaginaire des hommes. La force du communisme tient au fait qu’il a répondu à des aspirations profondes, anciennes, notamment l’égalité. Il a réussi à monopoliser idéologiquement le tropisme égalitaire qui nous habite tous. Beaucoup ont cru et espéré en ce système. Sa chute représente une défaite morale, d’autant plus difficile à supporter que le bilan pratique est catastrophique. (…) Pour ne pas avoir à souffrir de cet échec, on oublie la réalité, ou alors on la déforme comme le font les négationnistes. (…) L'oubli devient un moyen d'autodéfense, pour cause de mauvaise conscience.(…)
Lorsque la notion (de crime contre l'humanité) a été définie par le tribunal de Nuremberg, nous étions au lendemain de la défaite du nazisme, défaite dans laquelle l'Union soviétique a joué un grand rôle. Se trouvant dans le camp des vainqueurs, elle a pu mettre en avant sa vision des crimes en question. Il était évident que les forfaits dont le régime nazi s'était rendu coupable correspondaient aussi aux crimes du stalinisme : déportations, exterminations de masse, entre autres. Les Soviétiques ont réussi à imposer une vision univoque de ces crimes, à les attribuer aux seuls vaincus avec la complicité des Occidentaux, qui pouvaient difficilement admettre que, pour combattre Satan, ils s'étaient alliés avec Belzébuth. Il s'est mis en place une vision manichéenne de l'histoire, avec le méchant nazisme et le bon communisme. Toute l'historiographie de l'après-guerre s'est développée autour de l'épouvantail nazi, mal absolu de l'histoire. Le communisme est ainsi devenu, au mieux, un mal relatif. (…)
La loi Gayssot de 1990, loi emblématique contre le négationnisme des chambres à gaz, (…) arrangeait (probablement) les communistes à l'époque, dont Jean-Claude Gayssot était l'un des dirigeants. Remettre en avant les crimes nazis, (…), au moment où s'effondrait le communisme à l'Est - rappelons que le mur de Berlin est tombé en novembre 1989 -, pouvait permettre au Parti communiste français de faire diversion si l'on veut, de reprendre le flambeau de l'antifascisme, de dénoncer à nouveau les effets des crimes nazis pour relativiser l'effondrement en cours et le dévoilement de la réalité communiste qui allait s'en suivre. Un négationnisme peut en cacher un autre, dans une certaine mesure, la loi Gayssot a servi à cela, à ce moment précis. (…)
L’idée (de Marx) de la lutte des classes comme moteur de l’histoire a été lourde de conséquences. Certes la lutte des classes existe, il ne l’a pas inventée, mais en en faisant un élément central pour avancer dans l’histoire, il a permis aux régimes communistes de s’en revendiquer pour construire le socialisme. C’est au nom de cette lutte que des millions de personnes ont été éliminées dans le monde. Car, à la différence des races chez les nazis, dont la place et la hiérarchie étaient définies une fois pour toutes, les classes sous un régime communiste avaient la capacité de varier en fonction de l’utilité de leur élimination par le pouvoir. Cette pensée de Marx est devenue ainsi incroyablement criminogène. D’une manière générale, sa responsabilité a été d’établir un déterminisme historique, faisant croire qu’il existe une seule voie pour mener l’humanité vers le bonheur, ce qui a justifié tous les moyens pour y parvenir. (…)
Si l'on admet que le XXe siècle a été le siècle du communisme, il est évident que nous vivons dans le postcommunisme. L'histoire est un continuum, le communisme a laissé des traces. Tout d'abord, le rejet du capitalisme et de la démocratie (…). Une partie de cette violence antisystème s'est reportée sur le terrorisme islamiste, ce qu'on appelle l'islamo-gauchisme. Une autre trace est le nationalisme : pour se maintenir au pouvoir, les communistes ont utilisé le nationalisme comme ingrédient supplémentaire afin de faire adhérer la population à leurs objectifs à mesure que le paradis promis s'éloignait. Cela a donné le national-communisme de Staline. La Chine d'aujourd'hui en est un bon exemple (…).
Il est intéressant de voir qu'une partie de ceux qui minimisent de nos jours le danger islamiste vient de ces gauche et extrême gauche qui ont tendance à nier le bilan communiste. C'est leur détestation du système occidental capitaliste qui les incite à l'indulgence vis-à-vis des djihadistes.(…) Après la défaite du nazisme et depuis l'effondrement du communisme, les ennemis des sociétés ouvertes sont les islamistes. Ce qui relie les deux idéologies, celle d'hier, communiste, et celle d'aujourd'hui, islamiste, tient entre autres à une même prétention à l'universalité, à une volonté similaire de transformer les hommes (…) (et à un) ennemi commun : nos sociétés ouvertes. (dans Valeurs Actuelles du 13/04/2019)
(*) : Le Négationnisme de gauche, Grasset, 224 pages, 2019.
Merci à EVR pour ce devoir de mémoire.