J’emprunte le titre de ce bloc-notes à Georges Bernanos. Cette magnifique exclamation date du 2 février 1941, au Brésil où Bernanos et les siens séjournèrent sept années (de 1938 à 1945). Pour des raisons liées à mon travail, j’aurai passé une bonne partie de ces vacances 2013 à lire ou relire « notre Dostoïevski », comme on qualifie parfois Bernanos. Notamment certains textes ou entretiens moins connus, publiés dans la presse brésilienne de l’époque. J’ai lu également un livre très érudit, paru au début de l’été (Bernanos, littérature et théologie, Éric Benoit, Cerf, 2013.) Ces lectures m’ont profondément remué. À chaque occasion, je rapprochais ces lignes vieilles de 70 années des déclarations de notre pape François.
Est-ce la familiarité de Bernanos avec la sensibilité latino-américaine ? Sont-ce les liens qui l’attachaient aux lecteurs brésiliens ? Est-ce son intérêt pour saint François, le « Poverello » d’Assise ? Je ne saurais dire. Disons que l’on est troublé par une concordance de cœur entre les paroles du nouveau pape et celles du signataire des Grands Cimetières sous la lune. Je ne prendrai que trois exemples très actuels.
Concernant les pauvres, Bernanos, qui aura vécu chichement toute sa vie, n’hésite pas à dire et redire que « les pauvres ont le secret de l’espérance ». Quant à ce qu’il appelle – déjà – le « règne de l’argent », il s’écrie, en 1944, qu’il correspond au « règne des vieux », qu’il est « la condamnation de l’esprit de jeunesse ». Sur sa propre pauvreté, lui, le père de six enfants, il n’hésite pas à écrire : « La pauvreté m’a toujours comblé de ses bienfaits. C’est pour sa charité que je l’aime, sa tendre prévoyance. »
Sur l’esprit d’enfance et sur la joie qui s’y rattache, Bernanos est intarissable. Dans un discours prononcé en janvier 1942, il trouve cette formule : « Tout ce qui a été fait de grand au cours de l’histoire pourrait se définir en ces termes : un rêve d’enfant réalisé dans l’âge mur. » Un autre jour, sur le « journal » d’une jeune fille brésilienne qui lui en avait fait la demande, il écrit « Restez fidèle à l’enfance ! Ne devenez jamais une grande personne. Il y a un complot des grandes personnes contre l’enfance, et il suffit de lire l’Évangile pour s’en rendre compte. » À ses yeux, l’esprit d’enfance et la joie sont l’essence même du christianisme. La tristesse, au contraire, lui semble « le plus grand vice du monde ». Il ajoute à son sujet : « La tristesse n’est pas chrétienne. Les chrétiens tristes sont des imposteurs. »
Quant aux prélats cérémonieux, aux docteurs et aux « prêcheurs », c’est peu de dire qu’ils l’assomment, comme l’exaspèrent « les fausses grandeurs », y compris celles de l’Église. Il évoque souvent la chrétienté médiévale, « ce temps fraternel » où « les prêtres eux-mêmes parlaient bonnement aux fidèles, ne dédaignaient pas, le cas échéant, de rire avec eux ». L’Évangile, alors, était « prêché sur les routes, dans les granges, à la table d’amis fidèles, après un repas familier ».
Après s’être écrié que le monde avait besoin de tendresse, Bernanos est convaincu qu’un jour viendra où il donnera toute sa puissance et son or « pour un peu de clairvoyance et de douce pitié ». Son espérance est la nôtre.