Vient de paraitre De l’autre côté du mur. Il s’agit d’une BD qui raconte l’aventure de spécialistes du franchissement du Mur de Berlin, dans les années 1960. Voilà qui nous donne l’occasion de traiter de la représentation du communisme dans la bande dessinée.
L’histoire de la BD retiendra à jamais que le plus fameux des dessinateurs de BD, celui à qui le 9e art doit tout, j’ai nommé Hergé, est l’auteur de la toute première BD anticommuniste (qui, pendant une demi-siècle fut d’ailleurs la seule ou presque). Nous avons déjà eu l’occasion de parler ici de cette BD célébrissime entre toutes, publiée en feuilleton dans un journal catholique belge à partir de 1929, et en album en 1930.
Il fallut attendre 1973 pour que ce récit soit réédité. Faute de demande ? Pas du tout ! Mais en raison d’une autocensure, en raison de la peur des conséquences, pour la maison Casterman, d’une telle réédition. Quand Casterman, littéralement harcelé de demandes, de réédition, et confronté à une multitude d’éditions pirates, se décide enfin à rééditer ce récit, il l’insère dans un gros album dit Archives Hergé, comme pour montrer à ceux qui risqueraient de mal réagir (menaces de mort, violences, appels au boycott de toute l’œuvre d’Hergé etc.) qu’il s’agit uniquement d’une publication à caractère historique, et qui n’a surtout pas vocation à être mise entre les mains d’enfants. Par la suite, après la chute du Mur de Berlin, l’album s’est « normalisé », et il est désormais plus ou moins intégré dans l’œuvre du maître.
Certes en 1956, L’Affaire Tournesol oppose des espions américains et soviétiques (l’URSS n’étant jamais citée). Dans cet album, les Soviétiques sont plus malfaisants que les Américains, mais Hergé les renvoie un peu dos à dos. Néanmoins Staline (disparu trois ans auparavant) y est caricaturé par le biais du général Plekszy-Gladz
Jean-Michel Charlier (dessins de Mitacq), l’auteurs de la série La patrouille des castors, et de la série « Buck Danny » (dessins de Hubinon), fut plus courageux, en utilisant l’appellation transparente « Esturie » pour désigner le bloc des pays de l’Est, dans ses aventures scoutes. L’aviateur américain Buck Danny, affronte, lui, très clairement, les communistes de la Corée du Nord, dans deux albums, Ciel de Corée et Avions sans pilote (1953/1954). Mais il faut noter que ces albums furent interdits un temps … en France, pas en Corée du nord. C’est dire le poids du Parti communiste et plus généralement du camp stalinien dans la France de l’après-guerre.
A la même époque, les bandes dessinées introduisent très largement le nazisme et le fascisme comme composantes du monde des « méchants ». Le diptyque La bête est morte ! de Calvo est probablement la BD la plus caractéristique de ce thème. Mais Franquin dans ses aventures de Spirou, s’en donne aussi à cœur joie : le dictateur Zorglub tient plus de Goebbels que de Lénine ou Staline. Plus tard Dimitri (Guy Sajer) publia sa série « Goulag », mais le ton en était tellement parodique que sa lecture ne poussait pas à porter un jugement politique sur ledit Goulag. Ce qui n’empêchait pas Guy Sajer d’être par ailleurs un impeccable anticommuniste.
Sauvegarder pour l’Histoire l’image, malmenée depuis 1989, du communisme et du soviétisme
Le Mur de Berlin (plus généralement le communisme, d’ailleurs) n’a vraiment inspiré les dessinateurs de BD … que depuis qu’il n’existe plus. Voilà qui ne plaide pas en faveur d’un non-conformisme revendiqué par ce milieu de la BD contemporaine. Ce fut pourtant un évènement extraordinairement dramatique : une ville séparée en deux, du jour au lendemain, au cœur de l’Europe, 40 000 personnes qui parvenant à fuir clandestinement, 250 d’entre elles, au moins assassinées entre les deux zones, par les vopos communistes.
Quelques albums BD ont néanmoins traité des tentatives de franchissement du mur de Berlin. Aux éditions du Triomphe, a été publié en 2009 Le Mur de Berlin 1961-1989, tandis que les éditions Dupuis éditaient en 2019 Le mur de Berlin au cœur de la guerre froide. Mais nous sommes loin d’une déferlante.
De ce fait, De l’autre côté du mur qui vient de paraitre chez Grand Angle, ne fait pas double emploi avec ces albums. Il fait d’autant moins double emploi que cette BD-là se présente comme une aventure et pas comme un récit didactique, historique. L’angle est original : il nous raconte l’histoire d’une bande de passeurs professionnels, dont le « métier » consiste donc à favoriser l’évasion d’Allemands de l’Est (scénariste : Kid Toussaint). Un sujet jamais traité jusque-là, à notre connaissance. Quant au dessin (Tristan Josse), il se situe dans la veine essentiellement humoristique et caricaturale. Plus proche en fait de Dimitri que de Charlier ou Hergé. Mais au début et à la fin du récit, quelques données historiques rappellent très exactement ce que fut le drame de l’Occupation communiste de l’Allemagne de l’Est, et ses crimes.
Le bilan du communisme devrait inspirer les nouveaux talents
Quand on rentre dans une boutique de BD, ou qu’on visite le rayon BD des grandes surfaces, on est étonné de la prolifération de récits consacrés à la Seconde Guerre mondiale, et tout spécialement à la Résistance. Les héros sont le plus souvent des rouges espagnols, réfugiés en France. Le communisme y est plus ou moins exalté (exemples : le très verbeux et donc illisible nouveau Spirou d’Emile Bravo, la BD actuellement publiée en feuilleton dans Le Figaro Magazine, ou encore Matteo du dessinateur Gibrat etc.). A croire que ces récits servent surtout à sauvegarder, pour l’Histoire, l’image très malmenée (depuis 1989 seulement), du communisme et du soviétisme.
Mais ce constat que le plus grand totalitarisme du XXe siècle, système le plus meurtrier des temps modernes et sans doute de tous les temps, n’a guère enthousiasmé les éditeurs et les scénaristes de BD (comme d’ailleurs les cinéastes), devrait inspirer les nouveaux talents, car cela reste donc un sujet très original, quasiment inexploré à ce jour. Avis aux amateurs.
Agathon
De l’autre côté du mur, par Kid Toussaint et Tristan Josse, Ed. Grand angle, mai 2023