Le tableau « Les Femmes d’Alger » de Picasso est devenu lundi 11 mai 2015 la toile la plus chère jamais vendue aux enchères, adjugée en onze minutes à 179,36 millions de dollars, chez Christie’s à New York. La beauté de l'œuvre ne semble pas y être pour grand chose : le marché de l'art est en fait un grand business où la spéculation règne en maître ! Voici des extraits d'un article de Myriam Chalom dans la revue Permanences de novembre 1996 qui ose critiquer l'idole :
Sera-t-on toujours condamné à suivre les encenseurs professionnels (...) ? II n'y a pourtant pas de critique interdite. Et du même coup osons dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.(...). Notre regard a certes été déformé par les folies et les extravagances du surréalisme, mais la muséographie de sept siècles de peinture occidentale nous est facilement accessible aujourd'hui; et ne peut qu'entraîner notre regard à dépasser la complète irrationalité qu'il éprouve devant les oeuvres de notre vingtième siècle. (...)
Nous nous (apercevons) facilement que ce sont toutes les délicatesses de la création et les mille et une expressions de la psychologie humaine en particulier féminine, que Picasso a fait éclater en morceaux au sens propre comme au sens figuré. Pendant de longues années, Picasso imposera sa vision d'un monde disloqué où les distorsions figuratives feront peser une terrible ambiguïté sur sa peinture, ambiguïté du savoir-faire se conjuguant avec une ambiguïté sur le sens de l'humain.
Ambiguïté sur le savoir-faire. (...). Le peintre moderne ne devrait obéir qu'à son intuition personnelle et laisser courir sa main au gré de ses fantasmes et de ses rêves. Pas un seul critique n'ose alors élever la voix pour en dénoncer l'arbitraire.
Il est d'autant plus difficile de porter un jugement critique sur la peinture moderne qu'elle se confond avec les luttes politiques de notre temps, Picasso servant d'ailleurs de peintre-étalon du "culturellement-correct". Le fait de s'aventurer à reconnaître que Picasso ne serait peut-être pas le génie dont on veut bien nous rebattre les oreilles, vous entraîne immanquablement à vous faire traiter de tous les noms. Il n'est plus dès lors possible de remettre en cause son talent.
Voyez comme chacun de ses changements de style sont reconnus comme l'expression d'une technique admirablement maîtrisée alors que ces variations ne sont que l'expression d'un nouvel abandon et dénote une nouvelle faiblesse d'exécution.(...)Le bricolage a remplacé le métier. Le dessin a disparu au profit de jeux de formes grotesques. La pauvreté de la matière s'exprime par une incapacité à faire rendre aux divers procédés utilisés les variétés et les gammes de tons et de coloris qui leur sont naturels.
Visiblement cela importe peu aux critiques dithyrambiques effrayés de louper le train de la modernité. Il faut être de son temps !(...) Sous un flot d'érudition et de bavardage, on ose nous parler de la "plénitude des formes de ses modèles", alors qu'il fait subir au visage et au corps des dégradations et déformations anatomiques inhumaines. De quel respect Picasso était il donc animé pour l'homme ?
Ambiguïté sur son sens de l'humain. Visitant une exposition "Picasso", un ami deJean-Gabriel Domergue lui faisait remarquer : "Vous ne voulez donc pas que Picasso peigne les choses telles qu'il les voit ?". Réponse du peintre bordelais :"Rien ne s'y oppose. Mais je songe à ce que ce sera quand il verra les choses telles qu'il les peint !".
Et c'est exactement ce qui est arrivé. En rompant avec le réel, son talent n'a pas servi à créer l'humanité. Ses portraits en sont la part la plus révélatrice. (...) Picasso engagera une lutte sans merci contre le visage humain en s'acharnant à sa dépersonnalisation.
Il ne voulait pas faire ressemblant, laissant cela à la photo; mais la Joconde ressemble-t-elle à Mona Lisa ? Tout est dans l'art de créer un type de femme ou d'homme, un type humain. C'est ainsi qu'Ingres fit un "Monsieur Bertin" ressemblant qui devint l'image symbolique du Bourgeois du XIXè.
Or, il n'y a plus aucun signe d'identité de la personne chez Picasso, plus d'âme. Ses représentations ubuesques lui serviront à imposer au visage humain ce que les plus grands iconoclastes n'avaient jamais osé faire. En triturant le visage humain à merci, Picasso a réduit l'image de l'homme à une chose, une chose susceptible d'être falsifiée selon le bon vouloir de l'artiste. Rien ne l'arrêtera dans cette entreprise de désincarnation. Qui n'a pas éprouvé un sentiment de répulsion devant ces figures disloquées, disproportion nées, morcelées ?
L'art chrétien avait élevé très haut l'image de l'homme. La puissance de réalisation due à un métier très sûr avait exprimé la dignité humaine sous d'admirables formes sensibles. On a souvent défini l'art chrétien comme l'art du visage. Le fait d'avoir à exprimer l'humanité du Christ, Dieu vivant, par l'image peinte avait forcé les artistes à rechercher les expressions nobles et aimables qui entrainent la sympathie et l'amour. Picasso a fait régresser cette conquête chrétienne du respect de l'homme que les artistes avaient porté au bout de leurs pinceaux. Sans ce respect, la démarche de l'artiste conduit à rompre l'amitié de l'homme pour l'homme, de l'homme pour Dieu.
Merci à EVR