La Biennale de Lyon, c’est bien. Le directeur artistique est Thierry Raspail, qui dirige le musée d’Art contemporain de Lyon, et le commissaire invité pour cette 12e édition est Gunnar B. Kvaran, qui dirige le nouveau musée Astrup Fearnley d’Oslo. Il y a cinq lieux, 200 000 visiteurs, une navette fluviale, à boire et à manger. D’ailleurs, le café a changé d’étage : avant, il était sur le toit de la Sucrière, maintenant il est en bas.
(...) Dans la salle à côté du café, Xu Zhen a mis plein de vitrines comme dans les vieux musées d’histoire naturelle et dans chaque vitrine, il y a une silhouette en carton d’un mec chauve qui fait des gestes et puis le même geste, découpé sur des photos, dans différentes religions et cultures, par exemple les bras tendus vers le ciel ou le geste d’être couché par terre.
Accouchement. Un enfant avec sa maman demande à son grand frère : «Paul, vient expliquer, s’il te plaît.» Paul dit : «Alors, là, il est couché par terre parce qu’il proteste, parce qu’il y a des pays pas comme en Europe où les gens sont opprimés et alors ils manifestent mais enfin c’est aussi des fois dans les grèves, comme chez nous, il y a des grèves.» Le petit frère de Paul a de la chance d’avoir un grand frère si cool, mais si on n’a pas de grand frère, la Biennale fournit plein de médiateurs jeunes et sympas qui font des visites de groupes à la carte et disent aux gens : «Je vous laisse ressentir d’abord l’œuvre et explorer», après quoi ils pratiquent l’accouchement des idées normalement, en posant des questions du genre : «Qu’est-ce qu’il manque, sur la sculpture ?» C’est bien pour les gens qui ont peur, comme ceux qu’on entend dans le tram ou le bateau qui disent : «J’ai peur de ne pas comprendre», ou «mais s’ils n’avaient pas expliqué, moi, je n’aurais rien compris». Parce que les gens, souvent, ont peur de ne pas comprendre l’art contemporain, alors qu’en fait, la plupart du temps, il n’y a rien à comprendre, contemporain ou pas, il suffit de rester debout ou assis devant l’œuvre ou dedans et de voir si ça marche, s’il se passe quelque chose dans le corps. Parfois, il ne se passe rien, même devant Picasso, mais ce n’est pas grave, ça ne veut pas dire qu’on est bête, juste que ce n’est pas pour nous.
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A certaines heures, dans la salle de MadeIn Company, on peut faire de la gymnastique en enchaînant tous les gestes typiques de l’humanité. Ensuite, dans la pièce d’à côté, Yang Zhen Zhong, lui aussi de Shanghai, expose une grosse maquette de la place Tiananmen en morceaux comme des Lego et quand on la regarde d’un certain côté, elle se reconstitue sous nos yeux, et c’est drôle parce que dans la même salle il y a aussi une statue classique (d’après Canova, ils disent), découpée en morceaux d’une espèce de polystyrène moche et on dirait qu’elle respire ; elle aussi, elle tient ensemble, et puis plus tellement ensemble, comme la place Tiananmen. C’est signé The Bruce High Quality Foundation, ils habitent à New York aux Etats-Unis.
Ensuite, dans la pièce d’à côté, il y a un trou dans le mur avec des oreilles de lapin, comme si des personnages de dessin animé avaient traversé le mur, mais c’est peut-être parce qu’on n’est pas dans le bon sens et qu’on remonte l’exposition vers le début ; puis aussi l’histoire d’une cosmonaute lesbienne, et des fois, il y a des ombres qui apparaissent sur le sol dans des rectangles de lumière de couleur, comme si on se faisait transpercer l’attention par des trucs bizarres, et ça va avec des panneaux sur les murs où c’est écrit en anglais, comme sur une partition ou chez l’ophtalmo, on doit déchiffrer. (...)
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De l’autre côté, il y a un film de Ian Cheng comme un jeu vidéo détraqué avec plein de personnages qui font n’importe quoi, et complètement à l’opposé, un écran comme dans les jeux en réseau, avec des images comme si on était en train de jouer, sauf que c’est que de la bouffe avec des merguez en 3D, des gâteaux et un supermarché japonais vide (Tabor Robak) et puis au bout du rez-de-chaussée, il y a les statues des personnages qui ont traversé les murs de l’expo, c’est Vil Coyote, Roger Rabbit, le Kool-Aid Guy et il y a aussi un homme à poil qui bande allongé par terre, il paraît que c’est Dan Colen, l’artiste.
Au premier étage de la Sucrière, dans la première salle en venant de l’escalier, Karl Haendel a mis plein de photos et de mots découpés de différentes tailles à propos de la tuerie d’Aurora et il y en a une, c’est un godemiché habillé en cow-boy, et puis il y a un livre en anglais qui s’appelle Fear avec toutes sortes de témoignages de gens qui ont peur, par exemple peur que des pieds les touchent ou alors peur d’être trop grosse ou dans les ascenseurs. (...)
De l’autre côté du mur, il y a une super vidéo d’Ed Atkins, un Britannique : très amusante, mais il faut la regarder en entier, c’est l’histoire d’un pouce qui trempe dans différentes parties du corps avec un chimpanzé qui parle comme un consultant et ça s’appelle Même les têtes de cons, et l’artiste dit à son propos : «Concernant la "dépression" sous ses diverses formes substantives et verbales, je vous invente tel que vous êtes…»
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Au deuxième étage de la Sucrière, on s’ennuie un peu, sauf au bout, quand on arrive sur l’installation de deux filles, Alice Lescanne et Sonia Derzypolski. C’est une installation un peu ratée, elles disent, il y a des céramiques et des espèces de boîtes Ikea collées sur le mur avec des trous dedans, on dirait un Donald Judd en carton merdique, mais elles promettent d’essayer d’améliorer tout ça lors d’une performance les 19 et 20 octobre.
(...) sur le premier mur, il y a écrit le titre de la Biennale, «Entre-temps… brusquement», et ensuite, parce que le thème de cette année, c’est le récit visuel et la transmission par ce récit, donc ; sauf que si on a bien compris, la transmission c’est aussi un truc horizontal qui vient perturber la verticalité du récit et donc il peut y avoir des histoires qui ne soient pas des choses autoritaires ni des modèles, surtout à l’heure d’Internet et c’est ça le sujet.
Au premier niveau du MAC, il y a deux super salles de Lili Reynaud-Dewar, tapissées de tissu à fleurs super flippant, comme s’il s’effaçait et comme chez mémé quand elle est morte, avec des projections de vidéos où il y a Reynaud-Dewar nue et peinte en noir qui danse devant des sculptures, on dirait qu’elle est dans un musée, dans une autre vidéo, ça a l’air d’être son atelier, parfois elle s’assoit et elle fume et on dirait qu’elle réalise aussi un objet (il est exposé dans la salle suivante), un lit avec un trou et une fontaine d’eau noire dégueu et on se rappelle, du coup, qu’il y avait déjà un lit avec un trou qui s’effondre dans la vidéo d’Ed Atkins à la Sucrière.
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Encore après, il y a une pièce entière de marionnettes pédés qui se mettent des poings dans le cul avec la Panthère rose qui encule des bimbos blondes grandeur nature et des lames de scalpel, c’est de Bjarne Melgaard, et au sortir de la salle il y a un cartel qui dit que les images peuvent choquer la sensibilité et aussi qu’il faut bien observer les détails de chaque scène représentée, ce qui est «une double injonction contradictoire», dit un monsieur qui ricane.