« Tombeau de Jésus » : le faux scoop
À notre époque déchristianisée,
pourquoi tant de « révélations »
sur… le christianisme ?
Moins on connaît le christianisme, plus on aime les « scoops » à son sujet. L’apothéose de Dan Brown avec son Da Vinci Code (43 millions d’exemplaires) fait rêver les médias. En 2006, des éditeurs et des télévisions lancent sur le marché L’évangile de Judas : un papyrus non-chrétien et tardif (IVe siècle), mais censé plus chrétien et plus « originel » que les quatre vrais évangiles (du Ier siècle)... En 2007 paraît un roman intitulé L’Evangile selon Judas : signé du pittoresque Jeffrey Archer (député aux Communes, repris de justice et fabricant de polars), ce livre nous dit – lui aussi – que les choses ne se sont pas passées comme dans les quatre évangiles.
Au même moment, TF1 achète le plus sulfureux des documentaires : Le tombeau perdu de Jésus. C’est une production du célèbre Canadien James Cameron, réalisateur de Terminator et de Titanic.
Qu’a-t-on découvert dans ce tombeau « perdu »? Une série de coffres funéraires. Le 26 février, dans une conférence de presse à New York (scénarisée à la façon d’un film fantastique), Cameron fait pleuvoir les révélations. Sur l’un de ces coffres, dit-il, on lit : « Judas fils de Jésus ». Sur un coffre voisin : « Marie-Madeleine ». Et sur un troisième coffre : « Jésus » ! Donc Jésus et Marie-Madeleine étaient le papa et la maman de Judas, déclare le producteur hollywoodien.
Si ça n’est pas le plus grand scoop de l’histoire, Cameron veut bien être lapidé...
D’ailleurs, ajoute-t-il, le tombeau contenait aussi les restes de Marie, de saint Matthieu et d’un frère de Jésus. Tout le monde ou presque.
Ainsi les évangiles auraient menti, et nous aurions notamment la preuve – « tangible et inédite » – que la résurrection de Jésus n’a pas eu lieu. « Le film de Cameron est une bombe qui frappe le catholicisme en plein cœur », s’écrie Radio Canada. Comment en douter ! Si cette affaire de tombeau est lancée par le réalisateur de Titanic (1,8 milliard de dollars de recettes dans le monde), c’est « du lourd », comme disent les journalistes au festival de Cannes. Une fièvre d’audimat s’empare des médias. En France, TF1 achète le film.
Du côté des archéologues israéliens, on est moins enthousiaste.
Le Pr Amos Kloner, de l’université Bar-Ilan, déclare : « Cette histoire est sans fondement d’aucune sorte, sur le plan historique et archéologique. »
Quel est le point de départ ? En 1980, dans un faubourg de Jérusalem nommé Talpiot, une équipe de spécialistes met au jour un tombeau comme il y en a déjà des centaines en Israël. Il contient des coffres funéraires, selon le rite juif antique. Sur les coffres, des noms : Yeshua bar Yosef, Yehuda bar Yeshua, Mariamne, Mariam, Matia, Yose. Jésus-Christ et les siens ? « Sûrement pas », dit le professeur d’anthropologie biblique Joe Zias – qui dirige alors l’archéologie israélienne. Ses collègues et lui estiment « proche de zéro » la possibilité que ce tombeau soit celui de Jésus de Nazareth et de sa famille. Cela pour des raisons techniques…
GLOSES FANTAISISTES
Par exemple, à propos de Marie-Madeleine. Ce n’est pas elle qui reposait là, pour trois raisons :
1. le nom « Madeleine » ne vient pas du nom « Mariamne » ;
2. le mot « Madeleine » vient du nom de la ville de Magdala, située en Galilée ;
3. selon les archéologues, les six défunts du tombeau de Talpiot ne sont pas des Galiléens (comme Marie-Madeleine, les apôtres et la famille de Jésus), mais des Judéens de Jérusalem. En outre, leurs noms font partie des seize noms portés par 75 % des habitants de Jérusalem au Ier siècle : rien de plus banal, dans cette ville et à cette époque, que de s’appeler Jésus, Marie ou Judas.
En 2007, le Pr Zias s’indigne donc des allégations de James Cameron. Les gloses du Canadien sur la décoration des coffres de Talpiot sont fantaisistes, souligne l’Israélien : en réalité ces motifs géométriques n’ont rien de chrétien ! D’autre part, quand Cameron dit que le Yeshua et la Mariamne du tombeau « étaient deux époux puisque leurs ADN étaient différents », il affabule : car la différence des ADN ne suffit pas à prouver la conjugalité !
La « preuve scientifique » invoquée par Cameron n’existe pas, constate de son côté le Pr Kloner.
Le réalisateur du film, Simcha Jacobovici, s’était déjà fait remarquer en tournant un documentaire en faveur d’un faux : la fameuse urne de « Jacques frère de Jésus », dénoncée comme imposture en 2003 par les Antiquités israéliennes. « Le documentaire de Cameron est fait pour tromper le public », concluent les archéologues.
Le public français est-il trompé ? Les médias l’informent dans la confusion. Des journaux affirment que le film « déclenche les foudres de l’Eglise »… (Il déclenche plutôt celles des archéologues). Une radio dit que Cameron « apporte enfin la preuve de l’existence physique de Jésus »… (Mais cette existence ne faisait aucun doute aux yeux des historiens). Un quotidien du matin dit que le film de Cameron est « sérieux »… (malgré le tollé chez les scientifiques). Le journal gratuit 20 minutes croit savoir que les chrétiens nient le caractère « terrestre » de Jésus… (Au contraire : le christianisme repose sur la certitude que Jésus est un homme véritable !).
Les journalistes de 2007 sont comme beaucoup de contemporains : ils n’ont pas idée de ce que pense la foi chrétienne. Elle est pour eux hors de vue, engloutie plus profond que l’épave du Titanic. Ils peuvent donc lui prêter toutes les formes, aussi étranges soient-elles.
C’est là-dessus que jouent les entrepreneurs en fantasmagories. L’occulte passionne les imaginations. Les gens sont prêts à croire ce qu’on veut, pourvu qu’on leur dise : « L’Eglise vous le cachait depuis deux mille ans. » Pour nous vendre de l’invraisemblable, il suffit d’affirmer que le pape le dissimulait dans ses caves. Cameron, Archer, Brown & partners se présentent comme des explorateurs des abysses, qui en remontent des trouvailles. Ils ajoutent que celles-ci « dérangent le Vatican» : c’est le ressort d’un bon lancement commercial.
En effet, les gens cherchent du spirituel mais hors de l’institution chrétienne, parce que toutes les institutions (aujourd’hui) sont supposées mentir. La vérité est « ailleurs », comme disait une série télé des années 1990. Mettre cette « vérité » au jour, c’est, croit-on, ébranler les institutions – et surtout l’Eglise. Rome regimbe contre Da Vinci Code ou Le Tombeau perdu de Jésus ? Cela prouve que ces œuvres apportent la vérité...
Avec un tel raisonnement, on finit par croire que Marie-Madeleine a épousé le Messie ; que Judas était leur rejeton ; et que c’est Jésus-Christ, pas Jules César, qui a dit en mourant : Tu quoque fili (mais en araméen). Ebouriffantes révélations ! Dans la réalité, il n’y a aucun indice d’un mariage de Jésus ; Cameron et Brown ont mélangé trois personnages évangéliques différents pour créer leur Marie-Madeleine ; et Judas l’Iscariote – s’il avait été le fils de Jésus de Nazareth – n’aurait eu que douze ou treize ans le jour du Golgotha. Mais le public ignore ce genre de choses. On les laisse aux érudits. Comme ils ne sont pas souvent invités à TF1, l’industrie du faux scoop n’a pas de souci à se faire.
Patrick de Plunkett, Spectacle du Monde, avril 2007
http://plunkett.hautetfort.com/archive/2007/05/28/mgr-di-falco-l-eglise-n-a-pas-peur-de-la-verite-historique.html#more