Rédigé par Joël Hautebert le dans Société
Depuis l’apparition de « Nuit debout », des comparaisons ont été faites avec les « Veilleurs », les uns soulignant les profondes divergences, les autres au contraire les points de convergence justifiant aux yeux de ces derniers une réelle empathie pour « Nuit debout ». En somme, il faudrait se féliciter de l’émergence sur la place publique d’un mouvement libertaire d’opposition au nom de la lutte contre un régime lui-même libertaire, comme si la malignité de ce dernier justifiait l’usage de tous les moyens et la « convergence des luttes ».
Ces réactions posent la question récurrente de l’adéquation entre la doctrine politique, les fins poursuivies et les méthodes d’action employées. Car ne nous y trompons pas, les méthodes que nous voyons appliquées en ce moment place de la République et ailleurs ont été précédemment conceptualisées. Elles s’inspirent d’une tradition militante identifiée. Autant dire qu’elles n’ont rien de spontané dans leur naissance et leur conduite. Il s’agit d’une véritable doctrine militante effectivement dénommée « le spontanéisme », appliquée par exemple par les altermondialistes, qui puise ses sources dans le gauchisme et l’anarchisme. Les ouvrages publiés sur ce sujet abondent. Citons à titre d’exemples celui de Sébastien Porte et de Cyril Cavalié (Un nouvel art de militer, Éditions Alternatives, 2009), celui de Xavier Renou (Petit manuel de désobéissance civile : à l’usage de ceux qui veulent vraiment changer le monde, Syllepse, 2009), celui de Laurent Jeanneau et Sébastien Lernould, (Les nouveaux militants, Les petits matins, 2008) ainsi que de nombreux sites Internet (voir par exemple ici ou là). On y trouve toute la panoplie lexicale et idéologique du parfait activiste (spontanéité, horizontalité, subversion, transgression, désobéissance civile, non-violence, mobilité, mouvement insaisissable, etc.) et la signification déconstructiviste des gestes, des postures etc. (voir surtout le livre de Xavier Renou).
L’ouvrage de Sébastien Porte et Cyril Cavalié (Un nouvel art de militer) explique avec une grande clarté l’évolution des méthodes de la gauche révolutionnaire. Les grèves, les grandes manifestations, l’engagement dans les syndicats et le parti ne constituent plus l’archétype du militantisme. Ces moyens classiques d’agir sont devenus routiniers et comportent tout compte fait des défauts intrinsèques du strict point de vue idéologique. De nouvelles méthodes permettent de s’adapter aux évolutions techniques et sociales ainsi et surtout qu’aux mutations internes à la gauche marxiste.
En quoi consistent ces mutations ? Pendant des décennies le militantisme dominant visait la conquête du pouvoir politique (le grand soir !), permettant ainsi la transformation de la société par la loi en vue de la réalisation ultérieure du communisme. L’action révolutionnaire était donc finalisée. En marge de ce modèle dominant, le « gauchisme » refusait toute idée de prise du pouvoir, au nom du rejet pur et simple de ce dernier. L’anarchisme s’est toujours caractérisé par la condamnation radicale de l’autorité. Le modèle militant classique s’est progressivement étiolé depuis mai 68, avec une forte accélération consécutive à la disparition du monde soviétique. Le modèle anarchiste, quant à lui, fut réadapté aux temps postmodernes.