Reçu d'EVR.
Lundi 2 novembre à 11 heures, les enseignants ont été appelés à observer une minute de silence en classe en hommage à Samuel Paty, le professeur assassiné par un islamiste le soir des vacances de la Toussaint. Cet assassinat a –à nouveau - mis en relief la difficulté qu’a l’éducation nationale à intégrer dans la communauté nationale une population issue de l’immigration. Jean-François Chemain (*), docteur et agrégé en histoire du droit, enseignant dans un lycée en Zep (zone d’éducation prioritaire) durant dix ans en région lyonnaise, connaît bien le sujet. Dans le texte ci-dessous, il nous fait partager sa vision positive mais lucide sur notre système éducatif.
J’ai fait mon collège en banlieue lyonnaise, à Villeurbanne, où, dans les années 70, il y avait déjà une forte immigration maghrébine et cela m’a marqué. Or l’intégration des enfants d’immigrés est aujourd’hui en panne et laisse le terrain à un communautarisme où le mépris le dispute au ressentiment. Situation préoccupante, surtout quand ce communautarisme prend la forme du radicalisme le plus violent. Comment certains de ces jeunes débordant de vie en viennent-ils à avoir des pulsions de mort ? Je crois que l’éducation nationale a un rôle à jouer dans la réussite de l’intégration.(…)
Comme le disait Simone Weil : « Il faut donner à la jeunesse quelque chose à aimer et ce quelque chose c’est la France »… Croyez-moi, ces jeunes n’attendent que ça. J’obtiens d’excellents résultats en évoquant Jeanne d’Arc ou Napoléon, fortement minimisés dans les programmes. A l’évocation du dernier carré de la garde à Waterloo, les yeux brillent de fierté. Donnons-leur de bonnes raisons d’aimer notre pays ! Même si dans leur famille ou leur pays d’origine ils entendent toutes sortes de clichés négatifs sur notre histoire – mais la faute à qui ? –, il n’en demeure pas moins que leurs parents ont, à un moment donné, choisi la France. C’est de cette histoire qu’ils attendent qu’on leur parle. Malheureusement, ce n’est pas le projet de ceux qui, au contraire, s’appliquent à déconstruire le roman national en imposant par les programmes un regard critique et distancié sur la France car il faudrait faire accéder notre jeunesse à une conscience supérieure, cosmopolite et mondialisée. Mais la mère de toutes les violences, c’est précisément celle qu’on lui inflige en refusant d’étancher sa soif d’aimer et de connaître. Dans ces quartiers, on risque de produire des citoyens frustrés.(…)
En banlieue, beaucoup se définissent par rapport à l’islam. Il y a les convictions mais il y a aussi un fait sociologique : la grande majorité étant de confession musulmane, l’islam est une culture populaire qui homogénéise et structure l’environnement. C’est très net au moment du ramadan quand ceux qui ne le font pas sont regardés de travers. C’est que cette majorité religieuse n’imagine sincèrement pas que l’on puisse ne pas croire en Dieu ni même que l’on puisse venir d’une autre culture. Aussi faut-il montrer des signes d’appartenance. D’où de nombreux européens « de souche » qui se disent musulmans. (…)
L’école s’est donné pour but d’éduquer les enfants afin d’en faire de bons petits républicains… Mais ce n’est pas avec des programmes édulcorés qu’on va leur donner le goût de notre pays. De même, quelques heures de morale laïque ne suffiront pas à faire d’une population très ancrée dans son identité culturelle et religieuse d’origine, un peuple unifié autour des « valeurs » promue par l’Education nationale. L’ambition est démesurée ! Certains tombent des nues en découvrant que certaines familles n’ont de cesse de déconstruire ce que leur enfant apprend à l’école. Dans les quartiers populaires, tel Sisyphe, le professeur doit recommencer le lendemain ce qu’il croyait acquis la veille. (…)
(Le discours sur la laïcité est inadapté auprès de la jeunesse des quartiers populaires) car il est complètement à côté de la plaque. (…) La laïcité, ce n’est pas le combat de l’état pour se libérer de la tutelle de l’église mais exactement l’inverse. Ce combat n’a pas 200 ans mais 2000 ans. Si nous sommes effectivement dans un pays laïc, c’est d’abord parce que ce pays est chrétien, et particulièrement catholique. La laïcité n’est donc pas neutre. D’ailleurs les principes dits « républicains » qu’elle veut imposer sont très largement issus du message évangélique : partage des richesses, accueil des étrangers, reconnaissance et expiation de ses fautes… Sauf que la gauche qui s’en réclame veut les appliquer sans référence à Dieu et les rendre obligatoires sous peine de sanctions pénales ! C’est ce que j’appelle une forme d’augustinisme politique… Pour résumer, contrairement à ce qu’on dit, la laïcité n’est pas une logique de neutralité religieuse mais un principe chrétien. On ne la fera pas accepter tant qu’on ne l’aura pas définie avec précision et vérité. (dans Politique Magazine 8 septembre 2015)
Je ne sais pas si l’assimilation est possible, je ne sais même pas si elle est souhaitable... Faut-il à tout prix se ressembler ? La France « une et indivisible » est une utopie jacobine... (…) Ce que je découvre au contact de mes élèves, c’est que je peux aussi changer à leur contact, qu’ils peuvent m’aider à comprendre certaines choses, qui viennent d’eux. L’amour permet tout, il est comme un feu qui purifie et unifie. L’erreur de l’Education Nationale est de croire qu’on peut faire adhérer intellectuellement à des idées aussi froides que convenues... Nous allons être obligés de découvrir que la raison et les grands discours sont impuissants à relever le défi qui se pose à nous ; il y faudra beaucoup d’humilité et de foi, pour que le miracle se produise. Parce qu’un miracle, il va bien en falloir un ! (dans Lerougeetlenoir .org 14 mars 2015)
(*) : auteur de Kiffe la France (Edition Via Romana, 2011, 235 p) et Une autre histoire de la laïcité (Edition Via Romana, 2013, 240 p)