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28 avril 2021 3 28 /04 /avril /2021 08:33

Emmanuel Macron s’est rendu mercredi 14 avril 2021 dans le service de pédopsychiatrie du CHU de Reims, afin d'évoquer l'impact psychologique de la crise du Covid-19 et du confinement sur les enfants et les adolescents. Mi-janvier des pédopsychiatres avaient alerté le chef de l'État sur la dégradation de la santé mentale des plus jeunes depuis le début de l'épidémie. Dans ce cadre, de plus en plus de psychologues cliniciens s’inquiètent des effets nuisibles du port du masque sur l’évolution des petits enfants.

Ingrid Riocreux, professeur agrégée de lettres modernes, spécialiste de rhétorique, partage ce danger dans le texte ci-dessous:

L’étiquette d’“anti-masques” est en passe de devenir au moins aussi infamante qu’anti-vaccins ou anti-IVG, c’est dire. Pourtant, il me paraît légitime de s’inquiéter des effets probablement nuisibles de cet accessoire qu’on prétendit inutile avant de le rendre obligatoire et que, désormais, il est si malvenu de critiquer.

Non, porter le masque n’est pas un “petit effort pour le bien de tous”, comme le prétendent de bons citoyens drogués aux chaînes d’info et gonflés de dédain envers les irresponsables qui pensent autrement, dont je suis. Et s’intéresser aux effets du masque sur la santé de ceux qui le portent ne saurait suffire ; on doit envisager ses effets sur les plus petits, trop jeunes pour se le voir imposer, mais qui ne rencontrent plus que des visages masqués.

Il faut être directement en contact avec des bébés pour imaginer les conséquences qu’aura sur eux cette aube de la vie vécue dans un monde de masques. Les pédiatres nous parlent de l’importance du caché- coucou pour acquérir “la permanence de l’objet” : pour Bébé, un visage masqué n’est donc pas un visage, c’est une paire d’yeux ; la bouche qu’il ne voit pas, il ne la devine pas ; et cette voix qu’il entend, il ne sait pas d’où elle vient. Ôtez votre masque devant Bébé : il vous regarde et vous sourit, ou manifeste de la crainte s’il ne vous connaît pas. Autrement dit, il sait qu’il a affaire à une personne. Remettez votre masque : Bébé vous fixe comme il regarderait un objet curieux et inquiétant. Nous sommes nombreux à faire ce constat et il faut rendre hommage à ceux qui tentent de ménager une place pour ce sujet dans le débat public.

En mai dernier, Libération publie une tribune rédigée par des psychologues cliniciennes alertant sur le danger des masques pour l’évolution des jeunes enfants : « Priver le bébé de plus de la moitié du visage de son interlocuteur plusieurs heures par jour entraîne un risque d’incompréhension relationnelle, car le bébé ne peut plus utiliser les canaux habituels pour lire dans le visage de l’adulte la tonalité émotionnelle de l’interaction. Surtout, le visage de l’adulte est un miroir […], et ce sont les états émotionnels du bébé que le visage de l’adulte reflète quand il sourit en réponse à un babillage, ou qu’il exprime son empathie devant ses pleurs. Privé du bas du visage de l’autre, une bonne partie de ces informations infraverbales sont perdues, et l’enfant peut se sentir davantage confus dans ses interprétations. »

Les auteurs du texte parlent « d’un risque d’altération de l’identification des émotions, d’un sentiment d’insécurité, d’une entrave dans le développement de la communication orale, voire, par mimétisme ou par manque de stimulation, une tendance à l’immobilité du visage ». (…)

En octobre, France Culture consacre toute une émission à ce problème l’effet du masque sur « l’apprentissage du langage, la capacité sociale, l’empathie, la lecture des intentions de l’autre et la régulation des émotions », interrogeant des professionnels et une maman qui affirme ôter régulièrement son masque dans la rue quand elle est avec sa fille. Ce sujet est (abordé mi-novembre par France-Info qui rapporte) les propos d’une mère qui révèle (…) qu’elle a accouché masquée et que, depuis sa naissance, son enfant « n’a connu que des gens masqués ». Comment croire que cela puisse être anodin ? (…) (Anne Cognet, l’une des rédactrices de la tribune de Libération, exprime) ce que n’importe qui peut constater lorsqu’il se penche, masqué, vers un bébé : on crée une « situation d’inquiétante étrangeté » qui provoque un « sentiment d’anxiété » suscitant « du rejet ou du repli » ; un « inconfort » qui pousse le bébé à « se couper de ses émotions pour se protéger ».

Serait-ce un problème que les parents ôtent leur masque en présence des tout-petits quand ils ne sont à proximité de personne d’autre ? N’est-il pas aberrant que, depuis sa voiture, une dame courroucée fasse signe de remettre son masque à cette maman qui conduit une poussette, seule sur son trottoir et n’a que son enfant en face d’elle ?

Ce n’est pas du tout un questionnement secondaire que celui de l’avenir des tout-petits qui auront découvert le monde en rencontrant partout des visages masqués. Il faut certainement lutter contre ce coronavirus ; mais si nous produisons une génération de bègues autistes psychotiques et névrosés, aurons-nous vraiment gagné ?

Concluons sur un paradoxe : on s’est interrogé à longueur de débats télévisés et d’articles pour savoir si l’on avait le droit d’ôter son masque pour fumer ; puisque la réponse, semble-t-il, est “oui”, je crois que dès demain, j’allumerai une cigarette pour la promenade en poussette et j’expliquerai plus tard à mon enfant que c’est à cause du coronavirus qu’il a un cancer.

Ingrid Riocreux, dans Valeurs Actuelles du 4 mars 2021 

Merci à EVR.

 

La Langue des médias » d'Ingrid Riocreux - Polémia

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