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10 juillet 2021 6 10 /07 /juillet /2021 08:32

Le 8 juillet 1621, il y a tout juste 400 ans, naissait Jean de La Fontaine. Fabuliste et poète génial admiré aussi bien par les enfants que par les adultes, il est aussi le penseur de la condition politique des hommes, c'est-à-dire de l'homme comme «animal politique». «Animal politique» désignant l'homme comme être d'emblée pris dans le faisceau des relations humaines (*). Son premier recueil est dédicacé à Louis de France, fils de Louis XIV, âgé de 6 ans. La première fable de ce recueil est « La cigale et la fourmi » que Jacques Trémolet de Villers, écrivain et avocat, nous commente avec brio.

 

 « La Cigale et la Fourmi » est la première du premier livre des fables, et, sans concurrence aucune, la plus fameuse. Rousseau, qui écrivait très bien et pensait très faux, lui reprochait d'être inexacte, quant aux mœurs supposées des deux bêtes, et immorale, quant à la leçon tirée.

La postérité s'est moquée de Rousseau. Le cœur, bien sûr, est du côté de la Cigale. Personne n'aime la Fourmi. Mais aime-t-on le vinaigre, le sel tout pur et surtout aime-t-on la morale? Il faut être niais comme un philosophe allemand, et plus ennuyeux encore, pour s'éprendre de la morale. La morale ne vaut que par la fin qu'elle poursuit.

Mais La Fontaine ne fait pas, comme le croyait Rousseau, la morale. Il ne délivre pas de message à l'humanité. Il s'adresse aux petits princes et les éduque, en leur apprenant à voir. A voir les comportements. A observer. La morale, ils se la feront après, tout seuls. La Fontaine raconte de petites histoires, dresse des tableaux légers. Il suffit de les contempler; ces tableaux parlent d'eux-mêmes.

La Cigale, ayant chanté

Tout l'été,

 D'abord, pauvre Jean-Jacques, admirez ! Admirez ce que, vous ne savez pas faire et qui est ce concentré de poésie, laquelle est déjà du concentré, de l'essence, comme on dit d'un parfum. Elle ne s'étale pas comme le discours en prose. Elle ne se répand pas, odieusement satisfaite d'elle-même, prédicante et suffisante.

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue :

En quatre vers tout aussi brefs, voici que sont campés à la fois le décor, le caractère, et le drame. Les enfants n'apprendront jamais assez cet art de la concision, du ramassé, qui est le dernier mot de l'intelligence et le trait spécifique de l'esprit ailé, gaulois.

 Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau.

Rien de rien !

Elle alla crier famine

Chez la Fourmi sa voisine,

 Ça continue, aussi vif, sans aucune redite, cheville, sans aucun ralentissement, ni de la pensée ni de la description.

 La priant de lui prêter

Quelque grain pour subsister

Jusqu'à la saison nouvelle.

« Je vous paierai, lui dit-elle,

Avant l'oût, foi d'animal,

Intérêt et principal. »

Nous avons déjà trouvé cet août. C'est la date de la moisson, qui rythme la vie économique. On compte en moisson, car c'est à la moisson que l'on sait de quoi on dispose, en principal et en intérêt. Il faut expliquer aux enfants cette règle du prêt à intérêt, qui, pendant longtemps, fut prohibé par l'Église, comme contraire à la fois au précepte de l'Écriture et à la nature. L'argent ne crée pas l'argent. Seule la moisson fait la richesse. Le laboureur le dit à ses enfants. C'est la règle fondamentale de la saine économie : le travail est le seul trésor.

 La Fourmi n'est pas prêteuse;

C'est là son moindre défaut.

Entendez, c'est le défaut qu'elle a le moins... Bien sûr, c'est ironique !

 « Que faisiez-vous au temps chaud ?

Dit-elle à cette emprunteuse.

Nuit et jour à tout venant

– Je chantais, ne vous déplaise.

– Vous chantiez ? J'en suis fort aise :

Eh bien, dansez maintenant! »

dit la Fourmi qui n'a jamais su chanter et a passé son été à amasser.

En enseignant à Monseigneur le Dauphin ce qui est et non qu'on voudrait qui fût, La Fontaine fait œuvre saine et pieuse. Il ne lui fait pas réciter les droits de l'homme – le droit de la Cigale à manger sans travailler, le droit de la Fourmi à chanter aussi bien que la Cigale. Il lui enseigne la diversité – l'inégalité, eh oui ! – des êtres et des choses, des types et des classes, des espèces et des nations. Il lui montre la vie, la vraie vie, pour qu'ensuite, il puisse, au mieux, gouverner.

Pas d’idéologie chez La Fontaine. La vérité, nue vive, sèche, souvent amère.

Ce petit prince était bien élevé.

 

dans Heureux qui comme Ulysse …Editions Martin Morin,1998

 

(*) : cf Pierre Boutang (1916-1998), philosophe et écrivain, auteur de La Fontaine politique

 

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