Les 4 et 5 septembre derniers s’est tenu à Paris le salon Désir d’enfant, promouvant la gestation pour autrui (GPA). Des entreprises étrangères spécialisées dans le business de la fertilité y proposaient aux Français des prestations que la loi française interdit : gestation pour autrui (GPA), mais aussi toute la gamme des possibilités offertes par la technologie pour programmer au plus près l’enfant désiré. Nous sommes entrés dans la marchandisation des corps …Voici deux textes sur cet événement : un reportage sur place et une réflexion en découlant.
« Maman, pourquoi tu n’as pas voulu que j’aie un papa ? C’est pas bien, les papas ? » Aux abords du salon « Désir d’enfant », les 4 et 5 septembre dernier, Porte de Champerret à Paris, la bande-son tonitruante de la Manif pour tous accueillait les visiteurs, au grand dam des organisateurs. (…) Objet de leur colère ? La promotion de la GPA lors du salon, pourtant qualifiée de « ligne rouge à ne pas franchir » par le gouvernement.(…)
Les associations féministes ont tout tenté pour interdire l'événement : plainte auprès du Procureur, signalements auprès de la Préfecture de Paris et référé liberté – en vain. Ana-Luana Stoicea-Deram, qui représente le CoRP, Collectif pour le respect de la personne, s'indigne : « Les autorités françaises acceptent que, sur le sol français, l’on fasse la promotion de la vente d’enfants et des violences faites aux femmes. »
Nicole Athéa, gynécologue endocrinologue (..), abonde : « les mères porteuses construisent, qu’elles le veuillent ou non, un lien avec l’enfant pendant la grossesse. Il n’y a donc pas de consentement éclairé à remettre un enfant contre de l’argent : une femme qui va être enceinte ne peut pas prévoir comment elle va s’attacher à l’enfant. »
Passé cet accueil, le salon arbore ses stands proprets, couleurs guimauve et pastel. Le kakémono de la clinique danoise Aagaard interpelle : « envie d’acheter du sperme ? » (…) Le directeur médical de la clinique, Aboubakar Cissé, (…acquiesce) lorsqu'on lui demande si l'on peut obtenir le sperme d’un homme, choisi sur des critères physiques.
Baby is life, Babies come true, Extraordinary Conceptions… Huit entreprises basées à l'étranger proposent des prestations de GPA. Pour San Diego Fertility, venue des Etats-Unis, le tarif grimpe à 150 000 dollars, la mère porteuse « en touche 45 000 ». Le Nevada Fertility Center se veut rassurant, en présentant au public Stella, « femme porteuse », qui raconte qu’elle passerait sa vie à être enceinte, mais ne peut évidemment pas élever un nombre illimité d’enfants. Elle et son mari entretiennent d’excellentes relations avec le couple d’hommes, également présent. On le voit sur une photo affichée sur le stand : ils y fêtent ensemble l’anniversaire de l’enfant qu’elle a mis au monde.
L’agence ukrainienne IVMED Fertility promet une GPA, bien plus abordable, à 39 000 euros. Auxquels devront éventuellement s’ajouter 2 000 euros d’indemnisation pour la mère porteuse en cas de naissance de jumeaux, et 1 500 d’indemnisation « en cas de perte d’organes ».
Face aux différentes possibilités, l’agence londonienne RediaIVF livre un benchmark regroupant des cliniques du monde entier, pour que chaque client trouve le pays et la législation qui lui conviennent. Le slogan de leur stand ? « Get your baby home or your money back » (« Un bébé ou remboursé »).
Quant aux conférences tenues sur le salon, la plus audacieuse est sûrement celle de l’avocate Clélia Richard, (..). Elle rappelle que si la GPA est interdite en France, elle est légale dans d’autres pays, et incite les postulants à s’adresser à son cabinet « dès le début du processus » pour que la filiation soit établie, après avoir eu recours à une mère porteuse à l'étranger. En clair, il s’agit de mettre les tribunaux français devant le fait accompli.
Selon l’organisatrice du salon, Anne-Laure Guichard, les exposants ne font qu’« informer » non des clients, mais des « patients ». Aude Mirkovic, Maître de conférences en droit privé, porte-parole de Juristes pour l’enfance, une association qui a également tenté de faire interdire le salon, dénonce : « les sociétés entremetteuses sont sur place pour rencontrer des clients. Selon les cas, les visiteurs (…) se voient remettre une offre de contrat, ou bien ils laissent leurs coordonnées pour être recontactés. » Elle y perçoit une tentative de délit d’entremise. Certes la mère porteuse ne sera pas inséminée sur le territoire français, mais, selon la juriste, « une infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ».
L’organisatrice balaie ces critiques et juge ce type de salon nécessaire. « C’est plus qu’un désir d’enfant, c’est un besoin viscéral. Souvent l’émotion est palpable, il y a des pleurs. Je n’ai pas d’avis sur la légalisation de la GPA en France, mais ces personnes y auront recours quoi qu’il en soit. » Près d’un millier de personnes se seraient rendues à l’espace Champerret samedi et dimanche. (Pauline Arrighi, dans Marianne du 08/09/2021)
Une fois le désir devenu droit, il est difficile d’accepter des limites ressenties comme arbitraires puisque envisagées au seul prisme du désir individuel. Au salon bien nommé Désir d’enfant, l’une des banques de sperme annonce sans pudeur : « Trouvez le donneur parfait à votre façon », avec choix de la couleur de ses cheveux, ses yeux, sa race, en vue de « l’enfant de vos rêves » (European Sperm Bank).
Le Conseil d’État, dans son rapport de 2018 sur la bioéthique, posait lucidement la question : « En dissociant sexualité et procréation et en faisant de l’enfant le produit de technologies scientifiques […] comment circonscrire le désir que l’enfant soit sinon parfait, du moins le moins “imparfait” possible ? » L’enfant n’est plus le fruit de l’union des personnes mais le résultat, le “produit” d’un processus technologique : or, qui dit résultat dit, très vite, attente de résultat.
La procréation technologique est liée à l’eugénisme car elle suscite des situations de choix, et donc de sélection : il faudrait être idiot pour choisir un donneur malade et, quitte à choisir, pourquoi ne pas se renseigner sur son QI ou sa taille ? S’il y a dix embryons sur la paillasse et qu’un seul sera implanté, il faudrait être idiot pour ne pas sélectionner l’enfant en bonne santé et choisir le sexe, au passage, cela change quoi au juste ?
Point de place pour la déception : certaines formules premium, au salon, garantissent un enfant sain. Voulez-vous savoir comment une agence ukrainienne garantit un enfant sain ? Il suffit de demander, et une commerciale souriante explique que, si l’enfant est handicapé, les clients pourront le refuser. Il ira à l’orphelinat et l’agence offrira une nouvelle GPA, gratuite. ( Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance, dans Valeurs Actuelles du 9 septembre 2021)
Merci à EVR.
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