- Il faut que nous allions par la ville de Lancy vers la mer. Je crois que, dans cette partie du pays, nos ennemis ont peu de partisans.
- Quoi! que voulez-vous dire? s'écria-t-il. Il est impossible qu'ils aient un tel empire sur le monde réel. Il n'y a pas beaucoup d'anarchistes parmi les travailleurs, et, s'il y en avait, de simples bandes de révoltés n'auraient pas aisément raison des armées modernes, de la police moderne.
- De simples bandes! releva Ratcliff avec mépris. Vous parlez des foules et des travailleurs comme s'il pouvait être question d'eux ici. Vous partagez cette illusion idiote que le triomphe de l'anarchie, s'il s'accomplit, sera l'œuvre des pauvres. Pourquoi? Les pauvres ont été, parfois, des rebelles; des anarchistes, jamais. Ils sont plus intéressés que quiconque à l'existence d'un gouvernement régulier quelconque. Le sort du pauvre se confond avec le sort du pays. Le sort du riche n'y est pas lié. Le riche n'a qu'à monter sur son yacht et à se faire conduire dans la Nouvelle-Guinée. Les pauvres ont protesté parfois, quand on les gouvernait mal. Les riches ont toujours protesté contre le gouvernement, quel qu'il fût. Les aristocrates furent toujours des anarchistes; les guerres féodales en témoignent.
CHESTERTON, "Le nommé jeudi", 1926
