"Une après-midi que j'allais roulant dans les vapeurs bleuâtres d'un échappement d'autobus en évoquant la silhouette élégante de mon prochain vélo qui serait peut-être, enfin, un vélo de course, il se produisit un brusque arrêt dans la circulation et ma bicyclette disparut sous le marchepied de l'AAbis pendant que je m'étalais sur la plate-forme. Incident banal à en juger par l'attitude excédée du receveur qui me remit sur pied, hors de la voiture, comme si j'étais son douzième depuis le début de son service. Il faut dire que les attractions de ce genre avaient beaucoup perdu de leur brio depuis que les autobus avaient été surbaissés pour faciliter l'atterrissage sur la plate-forme des nombreux cyclistes que le monstre attire toujours dans son sillage. Cependant, mon vélo se trouvait si bien engagé sous la plate-forme que je dus attendre le démarrage de l'autobus pour relever le cadavre. Je vous ferai grâce de la description complète, mais il y avait d'horribles détails : la roue était contournée comme un jeune boa pris de coliques, des rayons acérés avaient crevé le pneumatique, et le garde-boue arrière s'était affreusement retroussé, découvrant un abject sédiment croûteux et pâle. Je me souviens également qu'une pédale tournait encore au soleil, à vous fendre le cœur.- Ce n'est rien, dit un homme distingué au premier rang de l'attroupement: c'est les nerfs. Soyez sûr qu'il est mort sur le coup.J'hésitais même à le croire bien mort, mais il fallut m'y résigner avec la consolation de me dire que c'était une belle fin pour un vélo de son âge.Le plus difficile, ce fut pour me débarrasser du corps.
15 avril 2014
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