Maintenant que la fin du monde est reportée, en effet, Noël aura-t-il lieu ?
On imagine très bien les hommes s'interrogeant entre eux un matin du 26 décembre : « Mais, dites donc, n'était-ce pas hier Noël ? - Noël ? Voyons, voyons, nous étions hier le 24, consultez le calendrier...
– Alors, c'est aujourd'hui Noël ?… - Pas du tout, nous sommes aujourd'hui le 26, fête de saint Étienne. Étienne, c'est justement le nom de mon oncle. - Sacrebleu ! il y a maldonne, on devrait téléphoner aux savants de l'Observatoire. Après tout, ils sont payés pour mesurer le temps, il faudra bien qu'ils nous rendent compte d'un jour de moins... »
Mais les savants de tous les observatoires du monde multiplieraient en vain leurs calculs, personne ne retrouverait jamais les vingt-quatre heures mystérieusement perdues. Comme la guerre de Troie du pauvre Giraudoux, Noël n'aurait pas eu lieu ! Car on est en droit de se demander s'il y aurait encore longtemps des nuits de Noël, avec leurs anges et leurs bergers, pour ce monde féroce, si éloigné de l'enfance, si étranger à l'esprit d'enfance, au génie de l'enfance, avec son réalisme borné, son mépris du risque, sa haine de l'effort qui inspire la plupart de ses rêveries mécaniques - de la fusée interplanétaire à la cellule photoélectrique grâce à laquelle les portes s'ouvrent toutes seules - haine de l'effort qui s'accorde beaucoup moins paradoxalement qu'on ne pense à son délire d'activité, à son agitation convulsive.
(…)
Chers jeunes lecteurs auxquels ces lignes, écrites à propos de Noël, paraîtront sans doute bien austères, méfiez-vous ! Il ne s'agit pas ici d'une simple controverse scolaire entre les Anciens et les Modernes... Lorsque l'esprit de jeunesse s'affaiblit dans le monde, c'est l'Esprit de Vieillesse qui l'emporte.
Georges Bernanos
L'Intransigeant, 25 décembre ... 1947