« Méfiez-vous des hommes » : venant de la part de Jésus, cette injonction peut surprendre. L’Evangile ne nous exhorte-t-il pas tout au contraire à la charité qui « excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1 Co 13, 7) ? En compulsant les travaux des exégètes, on trouve cependant qu’une traduction plus littérale - et plus proche de l’intention du Seigneur - pourrait être : « Prenez de la distance dans vos relations aux hommes ». En clair : Jésus ne nous invite pas à nous replier frileusement dans un ghetto ecclésial, mais il nous recommande de garder un espace de discernement dans nos relations humaines.
Par ce conseil de prudence, Notre-Seigneur veut éviter notre assimilation progressive au monde, à coups de compromissions répétées, que nous serions inévitablement amenés à concéder si nous ne gardions pas une « distance dans nos relations aux hommes ». Combien de croyants de nos jours, sous prétexte de ne pas se singulariser, de « respecter les autres dans leurs convictions et leurs choix de vie », ou de ne pas perdre la considération de leur entourage, commencent par taire leur référence aux valeurs chrétiennes, pour finalement renoncer aux exigences d’une vie évangélique. Nous savons comme il est facile de céder à la tentation de « faire comme tout le monde », pour préserver sa tranquillité.
C’est pour éviter ce piège de la confusion, que Jésus nous invite fermement à garder une distance par rapport aux opinions et aux comportements des hommes immergés dans le monde et soumis aux influences de son Prince. Nous sommes « le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens » (Mt 5, 13). Pour remplir son rôle le sel doit être enfoui dans l’aliment tout en gardant sa saveur originale ; ainsi le chrétien doit-il être au cœur du monde, sans se confondre avec lui. Cette position est loin d’être confortable, mais le Seigneur nous a avertis : « Le disciple n’est pas au-dessus de son maître : il suffit pour le disciple qu’il devienne comme son maître » (Mt 10, 24-25). Autrement dit : s’il est fidèle à la Parole de son Maître, le disciple subira la même contradiction douloureuse que lui. Nous puisons cependant notre consolation et notre force dans cette promesse de l’Apôtre : « elle est sûre cette parole : Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous tenons ferme, avec lui nous régnerons » (2 Tm 2, 11-12).
Peut-être opposerons-nous à cette invitation au témoignage, l’objection déjà formulée par le prophète Jérémie : « Ah ! Seigneur Dieu, je ne saurais parler, je suis trop jeune » (Jr 1, 6), je n’ai aucune instruction, je suis timide, incompétent,… La réponse du Seigneur est claire : « Ne vous tourmentez pas pour savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous ».