Ce novateur n’était pas un moderne, et rien ne serait plus faux que de faire de lui un maillon décisif de la révolution qui fit passer la peinture de l’emphase décorative des pompiers aux abstractions conceptuelles du XXe siècle. Il utilisa certes, avant d’autres, la photographie pour s’aider à saisir la décomposition du mouvement, multiplia les recherches sur de nouveaux supports, de nouvelles techniques. Il n’en ambitionnait pas moins de s’inscrire dans la lignée des classiques, de Raphaël à Mantegna, Pontormo, Véronèse. Il détestait les « nouveautés qui ne sont que neuves ». Sa quête avait une autre profondeur. Elle visait à atteindre, par la justesse du dessin, du trait, la vie même. Ses chevaux de course, dit Gauguin, sont des haridelles montées par des singes. Mais ils sont sauvés par le jeu des lignes en mouvement, qui les font « marcher sur les pointes, comme l’étoile d’un corps de ballet ».
S’il aima l’opéra, la danse, c’est parce que les costumes n’y étaient pas destinés à servir le jeu de rôles de la vie mondaine : que tout y était, au contraire, ouvertement factice, fantaisiste, emprunté, et que s’y révélait, dans le mouvement des corps, les étirements, les arabesques, une réalité supérieure, celle qui naît de l’accord de la force et de la grâce, de l’élégance et de la virtuosité.
Michel de Jaeghere
Directeur de la rédaction du Figaro Hors Série