Au-delà du procès de Véronique Courjault
Elle ne comprend pas, Véronique Courjault, elle ne comprend toujours pas pourquoi elle a tué trois de ses nouveau-nés; elle se rappelle à peine comment cela s'est passé. Sous le regard du public et des journalistes - le huis-clos demandé pour le bien de ses deux garçons vivants, 14 et 12 ans, a été refusé mardi en fin de matinée -la femme aux« bébés congelés » montre enfin de l'émotion. Pleure. Hésite. Met enfin des mots sur ce qui est indicible. Une nuée de médecins, de spécialistes, de psychiatres témoignera pendant les jours à venir pour expliquer les phénomènes de « déni de grossesse », de « refus de maternité ». Véronique Courjault encourt la réclusion à perpétuité mais pourrait bien bénéficier du sursis: c'est en tout cas en ce sens qu'est orientée par les médias une opinion publique passionnée par ce fait divers.
Oui, c'est horrible, une femme qui tue ses propres enfants, et à coup sûr elle est la première à en souffrir...
Dans ce procès qui se déroule devant les assises de Tours, deux questions sont au centre des débats. D'abord : pourquoi cette mère de deux garçons a-t-elle donné la mort à ses trois autres enfants dont elle a accouché seule et en secret, le premier en France - elle l'a incinéré -, et les deuxautres en Corée où son mari a retrouvé leurs pauvres corps dans le congélateur ? Et ensuite: a-t-elle su qu'elle était enceinte, prenant alors délibérément la décision de tuer les enfants qui naîtraient, comme elle l'a dit à un moment aux enquêteurs, ou a-t-elle agi sur le moment, confrontée à des naissances qu'elle n'attendait pas ?
On découvre à cette occasion ce phénomène étrange du déni de grossesse: la femme ne prend que peu de poids, ne change pas de taille de pantalon, tandis que son bébé se comporte en « passager clandestin », s'effaçant à la verticale, bougeant peu, au point que tout l'entourage peut véritablement ignorer la réalité (c'est ainsi que Jean-Louis Courjault, père des enfants assassinés, a bénéficié d'un non-lieu).
Et c'est là que se pose la vraie question à propos de ce procès. Qu'est-ce que l'enfant à naître ? Est-ce une personne ? Une personne qui d'une certaine manière, lors de ces circonstances étranges, craint pour sa vie en se faisant tout petit ? Pour éprouver de la pitié pour Véronique Courjault, il n'est pas besoin de répondre « non » à ces deux dernières interrogations; pourtant c'est sur cette réponse que se construit aujourd'hui la présentation médiatique de l'affaire.
C'est le Pr Israël Nisand, obstétricien au CHU de Strasbourg (qui pratique lui-même des avortements dits « médicaux », tardifs) qui témoignera lundi. Il a déjà déclaré à la presse:« S'il n'y a pas de grossesse psychique, il n'y a pas d'enfant, mais de la chair humaine. Il ne suffit pas d'être enceinte pour avoir un enfant. » Au Parisien, il vient de préciser: « Beaucoup d'IVG tardives sont des dénis de grossesse. Les grossesses découvertes plus tard se terminent souvent par un abandon à la naissance. (...) En revanche, quand on va dans le déni jusqu'à l'accouchement, on est dans une situation grave pour l'enfant. »
Parce que la situation n'est pas« grave» pour un enfant avorté à six ou sept mois ?
Aussi crûment, l'enquêteur de police Gérard Sammartino a indiqué mercredi à l'audience que « l'infanticide était pour Mme Courjault un mode de contraception ».
Le procès de Véronique Courjault est en réalité celui de la culture de mort. C'est pourquoi elle a bien des chances de ne pas être lourdement condamnée: comment continuer de s'indigner devant la mort de trois nouveau-nés alors que presque tout, dans la loi et la jurisprudence, dit qu'un enfant non désiré n'est pas un enfant, et qu'un bébé à naître qui n'a pas respiré n'est rien ?
C'est toute la logique de l'avortement à la demande, et des lois bioéthiques qui permettent de congeler ou de détruire des embryons qui ne bénéficient pas d'un « projet parental »...
Il n'y a pourtant de charité que dans la vérité. Ce que Véronique Courjault a besoin d'entendre, de comprendre, d'assumer, de regretter, c'est qu'elle a trois enfants morts et qu'elle les a tués. Ce serait à la fois la pire des peines et le seul moyen pour qu'elle puisse obtenir et accepter le pardon. fi faudrait aussi en tirer toutes les conséquences: reconnaître que les femmes qui avortent sont la plupart du temps dans une détresse comparable à celle de cette accusée.
JEANNE SMITS
"Présent", www.present.fr , 12/06/09