Tel La Bruyère avec ses Caractères, Xavier Eman, met en scène une série de personnages, victimes et bourreaux, qui lui servent d’archétypes pour railler notre époque et déboulonner ses veaux d’or. Si certains portraits sont volontairement outranciers, c’est dans l’unique but de rendre visible un réel que beaucoup planquent sous le tapis pour mieux goûter au confort du conformisme.
C’est le cas du portrait intitulé « Crottin de Chavignol, crime contre l’humanité ». Le titre plante à lui tout seul le décor. On y découvre un jeune militant écolo qui fait l’affront d’être flexitarien et qui se retrouve embrigadé dans une opération commando menée par un groupuscule de végans antispécistes. Pour dénoncer les souffrances animales, ces derniers préfèrent saccager une fromagerie familiale plutôt que de s’attaquer au McDo du coin.
Un clochard qui a le malheur de se sustenter d’un sandwich au saucisson à leur passage, subit la violence sanguinaire de ces épurateurs en herbe. En quelques formules bien ciselées, Eman nous projette dans une scène digne d’Orange mécanique revisitée à l’aune du fanatisme vert.
Par touches successives, Xavier Eman dévoile ainsi le portrait d’une société écervelée, à la dérive, rendue étrangère à elle-même. Ainsi, on découvre l’emprise de la réalité virtuelle sous les traits d’un père de famille qui tue son fils en arrêtant sa voiture d’un coup sec pour aller attraper un Pikachu. La débâcle du couple est dépeinte à travers les diktats de femmes vénales et castratrices. Les tartufferies des bien-pensants du gauchisme, sont dénoncées à travers la réaction d’un « petit blanc bourgeois cisgenre » qui passe son temps à vanter les bienfaits de l’immigration jusqu’au jour où des migrants sans papiers débarquent dans son cossu appartement avenue de Breteuil. La droite aussi en prend pour son grade. Ici, on assiste au retournement de veste d’un militant de l’Action française qui vire macroniste voyant dans Jupiter, le retour du régalien. Là ce sont les tiraillements intérieurs du bourgeois des beaux quartiers, électeur LR, qui devant les manifestations des Gilets Jaunes, est pris entre « sympathie » pour cette « France d’avant » qui « sent bon le terroir » et « agacement » devant les émeutiers, « ces gens bruyants et vindicatifs » qui ont entrainé une chute de la croissance et la suspension de son confort bourgeois.
Mais c’est sur le système médiatique et la médiocrité avilissante des talk shows que Xavier Eman tire à boulets rouges.