Emmanuel Macron a déclaré sur la grande chaîne américaine CBS News dimanche 18 avril qu’il fallait «d’une certaine manière déconstruire notre propre histoire». On a du mal à comprendre ce que cherche notre président en tenant de tels propos si ce n’est à déboussoler encore plus les Français afin de toujours mieux les manipuler. Nous avons besoin au contraire qu’on nous fasse aimer notre histoire, comme une histoire de famille! Et de célébrer-sans scrupule- Napoléon à l’occasion du bicentenaire de sa mort.
Voici la participation d'EVR avec ce texte de Jacques Tremolet de Villers, avocat et écrivain, extrait de son livre L’art politique français :
Dans notre recherche des constantes d'un art politique français, nous avons évoqué- et nous évoquerons- l'effort d'hommes plus efficaces, plus utiles, plus bienfaisants, plus éducatifs que Napoléon. Mais il faut dire qu'aujourd'hui, dans l'état de déliquescence, d'avachissement, de mollesse, de matérialisme, de lâcheté dans lequel se trouve notre pays, il apparait comme un prestigieux professeur d'énergie.
En fait, par sa tradition de gloire, de conquête, de vigueur, par son amour de cette gloire — «j'oserais dire que l’immortalité de son nom lui paraissait d'une bien autre importance que celle de son âme» (*) — il est le dernier de la trempe de nos rois. Ce prince et fondateur de l'ordre nouveau — «Je suis la République et je suis la Révolution, moi!» — est, par certains côtés, le dernier des grands Capétiens, le fils de Richelieu, de Louvois, de Colbert, de Louis XIV et de Saint Louis.
C'est pour cela qu'invinciblement, tant qu'il y aura une histoire de France, les enfants qui apprendront cette histoire, admireront Napoléon.(…)
Mais je m'arrête.(…)
Il n'y a plus d'histoire de France. Il y a de grands courants sociaux qui ont agité l'humanité.
Il n'y a plus de France. Il y a une circonscription administrative et électorale qui porte ce vocable, mais dont il serait malséant d'évoquer le souvenir.
A ce stade d'évanouissement culturel, dans cet aveulissement généralisé, allons-nous faire la fine bouche?
« Sauf pour la gloire, sauf pour l'art, il eût probablement mieux valu qu'il n’eût pas existé» a écrit de lui son meilleur historien, Jacques Bainville.
Mais ce dont notre époque de «bilan, de politique, de frigidaire et de mots croisés» (**) a surtout besoin, ce qui nous manque, c'est ce goût de la gloire et de l'art... et ce sens du besoin de se donner qu'ont les grands peuples.
Nous avons été un grand peuple. Napoléon en est le merveilleux témoin.
Il ne nous enseignera pas comment le redevenir. Il ne nous donnera aucune leçon d'art politique. Le plus souvent il faut fuir son exemple comme la peste car il a semé la guerre, la révolution, les ruines... et le reste. Mais cela dit, il a prouvé, le dernier, et à quelle puissance! que la France n'était pas un petit hexagone confiné dans la contemplation de son niveau de vie. (…)
«Je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde : vous y trouverez de grandes villes, de riches provinces, vous y trouverez honneur, gloire et richesse. Soldats d'Italie, manqueriez-vous de courage? » ... C'est autre chose que la convention sur l’horaire mobile ou les trente-cinq heures!
Et il ne s'agit pas seulement d'esthétique. La Russie n'est pas plus aimable aujourd'hui qu’elle ne l'était en 1811. Le Grand Duché de Varsovie n'a pas moins besoin de notre soutien. L'héroïsme est non seulement une vertu esthétique, mais une vertu nécessaire. La distinction se fera, chez nous comme ailleurs, très rapidement, non pas entre droite et gauche, majorité ou opposition, Bouvard ou Pécuchet, mais entre les fils de ceux qui de Charles Martel à Napoléon ont, comme disait Péguy, tenu et refusé de rendre la place, qu'ils s'appellent Capet, Philippe Auguste, Du Guesclin, Jeanne d'Arc, Richelieu ou Louis XIV et ceux qui, même habités des plus beaux sentiments, phrasant et pleurnichant, ont refusé le combat .
La France, née de ces héroïsmes, ne se poursuivra pas sans héroïsme. La France n'est pas un ensemble de prescriptions économiques, de lois sociales et de techniques administratives. Ceux qui méconnaissent ce besoin d'héroïsme et de générosité méconnaissent leur pays. Les provinces n'ont dû leur unité qu'à ces symboles et à la force exemplaire de ces héroïsmes réunis.
Qu'ils disparaissent et chacune repartira — au moins psychologiquement — dans son univers propre. On ne fera pas l'économie du respect admiratif et communicatif qu'inspirèrent le roi juste et fort... l'Empereur... la République une et indivisible. On a joué de tout cela. On a méprisé, ricané, sali, ironisé et démoli. Et on se retrouve dans rien... l'univers anonyme, dépersonnalisé, sans couleurs, vie ni amour.
Rien ne doit être négligé de ce qui peut permettre aux Français de retrouver le sens de leur identité.
Parce qu'il est plus proche dans le temps, parce qu'il est de notre temps, parce qu'il frappe plus fort les imaginations, parce que sa vie est un roman de gloire, de malheur, d'amour et d'aventure, Napoléon tient objectivement, dans le réapprentissage de la gloire et de l'honneur de la France par les Français, une place de choix.
L’art politique français (Edition CLC-ICTUS, 1984, 130 p)
(*) Mme de Rémusat cité par Jacques Bainville
(**) Antoine de Saint-Exupéry, Lettre au général X