Le confinement est prolongé jusqu’au 11 mai. Le pays est profondément touché par l’épidémie du coronavirus. Ces temps sombres nous incitent à la réflexion. Le Cardinal Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin, dans le texte ci-dessous, a des paroles que l’on aimerait tant qu’elles soient prophétiques.
Un virus, un virus microscopique, a mis à genoux ce monde qui se regardait, qui se contemplait lui-même, ivre d'autosatisfaction parce qu'il se croyait invulnérable.
La crise actuelle est une parabole. Elle révèle combien tout ce en quoi on nous invitait à croire était inconsistant, fragile et vide. On nous disait : vous pourrez consommer sans limites ! Mais l'économie s'est effondrée et les Bourses dévissent. Les faillites sont partout. On nous promettait de repousser toujours plus loin les limites de la nature humaine par une science triomphante. (…) On nous vantait un homme de synthèse et une humanité que les biotechnologies rendraient invincible et immortelle. Mais nous voilà affolés, confinés par un virus dont on ne sait presque rien. L'“épidémie” était un mot dépassé, médiéval. Il est soudain devenu notre quotidien. Je crois que cette épidémie a dispersé la fumée de l'illusion. L'homme soi-disant tout-puissant apparaît dans sa réalité crue. Le voilà nu. Sa faiblesse et sa vulnérabilité sont criantes.
Le fait d'être confinés à la maison nous permettra, je l'espère, de nous tourner de nouveau vers les choses essentielles, de redécouvrir l'importance de nos rapports avec Dieu, et donc la centralité de la prière dans l'existence humaine. Et, dans la conscience de notre fragilité, de nous confier à Dieu et à sa miséricorde paternelle. (…)
La grande erreur de l'homme moderne (est) de refuser de dépendre. Le moderne se veut radicalement indépendant. Il ne veut pas dépendre des lois de la nature. Il refuse de se faire dépendant des autres en s'engageant par des liens définitifs comme le mariage. Il considère comme humiliant de dépendre de Dieu. Il s'imagine ne rien devoir à personne. Refuser de s'inscrire dans un réseau de dépendance, d'héritage et de filiation nous condamne à entrer nus dans la jungle de la concurrence d'une économie laissée à elle-même. Mais tout cela n'est qu'illusion. L'expérience du confinement a permis à beaucoup de redécouvrir que nous dépendons réellement et concrètement les uns des autres. Quand tout s'effondre, seuls demeurent les liens du mariage, de la famille, de l'amitié. Nous avons redécouvert que, membres d'une nation, nous sommes liés par des liens invisibles mais réels. Nous avons surtout redécouvert que nous dépendons de Dieu. (…)
Avez-vous remarqué la vague de silence qui a déferlé sur l'Europe ? Brusquement, en quelques heures, même nos villes bruyantes se sont apaisées. Nos rues souvent grouillantes de monde et de machines sont aujourd'hui désertes, silencieuses. Beaucoup se sont retrouvés seuls, en silence, dans des appartements qui sont devenus comme autant d'ermitages ou de cellules monacales.
Quel paradoxe ! Il aura fallu un virus pour que nous nous taisions. Et tout d'un coup nous avons pris conscience que notre vie était fragile. Nous avons réalisé que la mort n'était pas loin. Nos yeux se sont ouverts. Ce qui nous préoccupait : nos économies, nos vacances, les polémiques médiatiques, tout cela nous est apparu secondaire et vain. La question de la vie éternelle ne peut manquer de se poser quand on nous annonce tous les jours un grand nombre de contagions et de décès. Certains paniquent. Ils ont peur. D'autres refusent de voir l'évidence. Ils se disent : c'est un mauvais moment à passer. Tout recommencera comme avant.
Et si, tout simplement, dans ce silence, cette solitude, ce confinement, nous osions prier ? (…). Et si, tout simplement, nous osions accepter notre finitude, nos limites, notre faiblesse de créature ?(…) Si nous refusons de croire que nous sommes le fruit d'un vouloir amoureux de Dieu tout-puissant, alors tout cela est trop dur, alors tout cela n'a pas de sens. Comment vivre dans un monde où un virus frappe au hasard et fauche des innocents ? Il n'y a qu'une réponse : la certitude que Dieu est amour et qu'il n'est pas indifférent à notre souffrance. (…) Je crois qu'il est temps d'oser ces mots de foi. (…)Le monde attend de l'Église une parole forte, la seule parole qui donne l'Espérance et la confiance, la parole de la foi en Dieu, la parole que Jésus nous a confiée. (…)
Habituellement, on évalue l'utilité d'une personne à son influence, sa capacité d'action voire d'agitation. Tout d'un coup, nous voilà tous remis à égalité. Nous voudrions être utiles, servir à quelque chose. Mais nous ne pouvons que prier, nous encourager mutuellement, nous supporter les uns les autres.(…)
Certains disent : plus rien ne sera comme avant. Je l'espère. Mais je crains plutôt que tout ne recommence comme avant car, tant que l'homme ne revient pas à Dieu de tout son cœur, sa marche vers le gouffre est inéluctable.
Nous mesurons en tout cas combien le consumérisme mondialisé a isolé les individus et les a réduits à l'état de consommateurs livrés à la jungle du marché et de la finance. La mondialisation, qu'on nous avait promise heureuse, s'est révélée un leurre. Dans les épreuves, les nations et les familles font corps. (…)
La crise actuelle démontre qu'une société ne peut être fondée sur des liens économiques. Nous prenons conscience de nouveau d'être une nation, avec ses frontières, que nous pouvons ouvrir ou fermer pour la défense, la protection et la sécurité de nos populations. Au fondement de la vie de la Cité, on trouve des liens qui nous précèdent : ceux de la famille et de la solidarité nationale. Il est beau de les voir ressurgir aujourd'hui. Il est beau de voir les plus jeunes prendre soin des anciens. Il y a quelques mois, on parlait d'euthanasie et certains voulaient se débarrasser des grands malades et des handicapés. Aujourd'hui, les nations se mobilisent pour protéger les personnes âgées.
On voit ressurgir des cœurs l'esprit de don de soi et de sacrifice. On a l'impression que la pression médiatique nous avait contraints à cacher la meilleure part de nous-mêmes. On nous avait appris à admirer les “gagnants”, les “loups”, ceux qui réussissaient, quitte à écraser les autres au passage. Voilà que soudain on admire et applaudit avec respect et gratitude les aides-soignantes, les infirmières, les médecins, les volontaires et les héros du quotidien. Tout d'un coup, on ose acclamer ceux qui servent les plus faibles. Notre temps avait soif de héros et de saints, mais il le cachait et en avait honte.
Serons-nous capables de garder cette échelle de valeurs ? Serons-nous capables de refonder nos cités sur autre chose que la croissance, la consommation et la course à l'argent ? Je crois que nous serions coupables si, au sortir de cette crise, nous replongions dans les mêmes erreurs. Cette crise démontre que la question de Dieu n'est pas seulement une question de conviction privée, elle interroge le fondement de notre civilisation.
Extraits de l’article de Valeurs Actuelles du 9 avril 2020
Merci à EVR. Et si vous faisiez suivre ?