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13 juillet 2019 6 13 /07 /juillet /2019 10:25

Demain, c’est la « fête nationale » de notre république. Pour la célébrer à notre façon, voici un texte iconoclaste, de Jean Tulard, professeur agrégé d’histoire et docteur ès lettres, membre de l’Académie des sciences morales et politiques.
 
Premier malentendu c'est la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, qui est traditionnellement célébrée par nos républiques et non la prise de la Bastille.
Nouveau malentendu: Louis XVI n'a pas écrit sur son journal « Rien » à la date du 14 juillet 1789 par allusion aux événements parisiens, ce qui permettrait d'ironiser sur sa cécité politique. Il a écrit « Rien » parce que, ce jour-là, il revint bredouille de la chasse.
Autre malentendu: la Bastille n'a pas été prise parce que l'on voulait abattre un symbole de l'arbitraire royal, mais tout simplement parce qu'on croyait y trouver des armes.
On pourrait continuer à allonger ainsi la liste des malentendus touchant l'un des plus célèbres épisodes de notre histoire. Que s'est-il passé réellement le 14 juillet ? Depuis le début du mois Paris est en ébullition: la ville a peur parce qu'elle ignore ce qui se passe à Versailles où les Etats généraux par un coup de force se sont transformés en Assemblée constituante, se préparant à rogner les pouvoirs du roi, jusqu'alors monarque absolu. On craint une réaction de la cour et des mouvements suspects de troupes sont enregistrés.
Rien n'est plus dangereux qu'une ville qui a peur. Et qui, de surcroît, a faim. L'annonce du renvoi de Necker, ministre qui passe pour favorable aux réformes, semble annoncer une Saint-Barthélemy des patriotes. Des agitateurs, comme Camille Desmoulins, haranguent la foule et appellent aux armes. Encore faut-il en trouver. Pourquoi ne pas en prendre à la forteresse de la Bastille qui domine de sa sombre masse le populeux faubourg Saint-Antoine ? La défense de la Bastille est surtout assurée par quatre-vingts invalides peu motivés. Lorsque des manifestants se présentent devant ses murs, une négociation aurait pu s'engager sans problèmes. Mais le gouverneur, M. de Launay, avait, selon le mot cruel de Rivarol, perdu la tête avant même qu'on ne la lui coupe. C'est par son manque de sang-froid que l'affaire tourna mal. L'assaut fut lancé contre la Bastille dans des conditions ahurissantes. Pour obliger le gouverneur à capituler, les manifestants — dont beaucoup d'artisans -— n'allèrent-ils pas jusqu'à s'emparer d'une jolie personne qu'ils croyaient être la fille de M, de Launay? Ils l'étendirent sur une paillasse au pied des murailles et y mirent le feu. La charmante personne, qui s'appelait en réalité Mlle de Monsigny, a raconté: « Le feu venait d'être mis à la paillasse sur laquelle j'étais sans connaissance quand un brave soldat s'écria: « Ce n'est pas la fille du gouverneur!» Il m'arracha à la fureur des flammes et, bravant tous les dangers, m'emporta près d'une pompe...» Rien, on le voit, de la
bataille de géants chantée par Michelet. Il y eut tout de même quatre-vingt-deux morts, semble-t-il, du côté des assaillants et plusieurs défenseurs furent pendus à des réverbères (de là l'expression : « à la lanterne ! »).
La prise de la Bastille présente deux aspects très modernes. D'abord, une superbe entreprise de désinformation. Après sa chute, la Bastille fut présentée comme retenant les innombrables victimes du despotisme royal. Des gravures montrèrent des cachots que l'imagination des rédacteurs de libelles peupla de centaines de malheureux attachés aux piliers par des carcans et de squelettes enchaînés dans des cages. On aurait même découvert les ossements du Masque de fer! En réalité la Bastille n'abritait que sept détenus dont quatre faussaires, un libertin et deux fous. Comme l'on demandait à l'un d'eux, à l'impressionnante barbe blanche, qui il était, il répondit : « Je suis l'être au-dessus de tous les êtres, dragon de profession.» Il n'en fut pas moins porté en triomphe.
Par ailleurs ceux qui prirent la Bastille s'organisèrent aussitôt en association des «vainqueurs de la Bastille». Ils reçurent un uniforme et un armement et occupèrent l'une des premières places dans les fêtes civiques. Curieusement, ils semblent avoir été plus nombreux que ceux qui bravèrent réellement les canons de M. de Launay. Ces pseudo-vainqueurs annonçaient les résistants de la dernière heure de l'été 44. Ils furent réellement les plus ardents à entretenir la légende du 14-Juillet.

(Le Figaro Madame du 13 juillet 1990)

Merci à EVR.

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