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2 octobre 2021 6 02 /10 /octobre /2021 08:21

Reçu d'EVR

Selon un sondage de l’Ifop publié le 23 septembre mené pour l'Association des journalistes d'information sur les religions (Ajir), les Français seraient 51 % à ne pas croire en Dieu. Pour la philosophe Chantal Delsol, de l’Institut, ils ne sont pas pour autant devenus athées mais ont adopté d’autres croyances, d’autres religions ou spiritualités, et d’autres morales :

 

Un seuil symbolique a été franchi: désormais plus de la moitié de la population française se dit incroyante. C’est même l’ensemble du Vieux Continent et sans doute l’Occident tout entier qui est en train de voir s’effacer la religion de ses pères.(…)

Il faut distinguer le christianisme et la chrétienté. Le christianisme ne semble pas du tout en voie d’extinction. Il se déploie (…) dans de larges zones d’Amérique latine ou d’Asie. C’est en Occident qu’il s’efface.

Mais la chrétienté traduit bien autre chose: le christianisme comme civilisation, comme pouvoir sur les mœurs et les lois des pays. On peut dire que la chrétienté en tant que telle a disparu de nos territoires depuis les années 1960 ou les lois sur l’IVG. Depuis lors, ce ne sont plus les dogmes religieux qui déterminent ce que la morale interdit ou permet, ce sont des comités d’éthique composés d’une multitude de courants divers. La chrétienté aura duré seize siècles, depuis la fin du IVe siècle. C’est aujourd’hui qu’elle se rompt. (…)

(Les chrétiens) vont devenir, ils sont déjà devenus une minorité, et ils ne savent pas ce que c’est. (…) Je ne suis pas sûre que nos clercs aient bien compris ce nouveau statut de minorité, qui impose la modestie et une attitude de vérité. (…)

Il ne faudrait toutefois pas s’imaginer que le vieil Occident va pour autant devenir «athée», comme nous l’annoncent les études d’opinion. À vrai dire, «athée», cela n’existe pas, (…). L’homme est un animal religieux, parce qu’il est confronté toujours et partout avec le mal, la souffrance et la mort, et il ne saurait vivre sans tenter de leur donner un sens. Lorsque Malraux dit que «le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas», il énonce un truisme: tous les siècles sont religieux!

Les pays d’Occident ne sont pas devenus «athées» - ils ont adopté d’autres croyances, d’autres religions ou spiritualités, d’autres morales. Je ne parle pas de l’islam - certains catholiques affolés pensent qu’ils vont être remplacés par l’islam, mais les choses ne se passent pas ainsi. À la religion d’Occident se substituent peu à peu ses ersatz, ses succédanés, ses échos. (…) La croyance en la transcendance s’effondre, mais l’édifice ne disparaît pas: il est recyclé autrement. (…) Le souci du Salut s’est transformé en souci du salut social. Le Mal qui était envie, adultère, orgueil est devenu impérialisme, guerre, oppression sociale, homophobie.

Grave erreur, de croire que toute morale, religion, croyance, s’effondre derrière le christianisme désormais privé de pouvoir. (…) En réalité, les vertus essentielles de la morale chrétienne se métamorphosent en une sorte de morale laïque. Des auteurs du XXe siècle (Scheler, Kolnai, Chesterton) l’ont appelée l’humanitarisme. Cela pour la distinguer de l’humanisme, car nous ne sommes plus humanistes, ayant expulsé l’homme du centre du monde. L’humanitarisme récupère les vertus chrétiennes de compassion et d’égalité, et les recycle dans l’immanence d’un monde sans dieu. Sans la transcendance, toutes ces vertus dégénèrent, se font mièvres et pleines de sensiblerie, en même temps qu’elles demeurent oppressives. La morale devient pour ainsi dire une religion.

Mais les choses vont plus loin. La religion traditionnelle de l’Occident transcendant et monothéiste n’a pas été tout bonnement effacée pour être remplacée par le rien. Elle a été lentement supplantée par des polythéismes immanents - ce que l’on appelait le paganisme. Ou par des spiritualités multiples, parfois héritées de nos traditions (le stoïcisme, l’épicurisme), parfois reçues d’autres cultures (le bouddhisme). Il faut insister pour dire que la vénération de multiples «dieux» ou la sacralisation de tout ou partie du monde immanent est une tendance humaine universelle - c’est le monothéisme transcendant qui représente une exception. Ainsi, dès que le monothéisme s’effondre, les multiples dieux immanents reviennent d’eux-mêmes. Quant aux spiritualités, elles sont si liées à la pâte humaine que leur surgissement est presque instinctif. L’homme est un être spirituel et religieux. C’est pourquoi nous avons aujourd’hui en Occident des descendants des épicuriens, des adeptes de Bouddha, des gens qui embrassent les arbres et des adorateurs de baleines, par exemple.

L’écologie tient lieu de religion nouvelle, et, en l’occurrence, elle est un panthéisme. Elle a ses rites, son catéchisme obligatoire, ses interdictions, ses prophètes et ses grands prêtres, ses anathèmes et ses excommunications. Processus très dangereux, car dégrader une véritable science en religion, c’est mortel pour la science en question - et nous avons bien besoin de l’écologie.

Ce que les peuples occidentaux ont déjà commencé à perdre, ce sont les fondements du judéo-christianisme, les présupposés culturels sur lesquelles s’appuyait l’édifice. C’est d’abord la croyance en l’existence de la vérité, qui nous vient des Grecs - et nous revenons aux mythes, ce qui inaugure bien des dégâts pour la pensée scientifique. C’est ensuite l’idée d’un temps fléché, qui a donné historiquement l’idée de progrès, et nous revenons au temps cyclique avec l’annonce de catastrophes apocalyptiques. C’est enfin la croyance dans la dignité substantielle de l’être humain, qui s’efface pour laisser place à une dignité conférée de l’extérieur, sociale et non substantielle, comme c’était le cas avant le christianisme. Il nous faut dorénavant vivre avec ces présupposés nouveaux pour nous. Les chrétiens qui restent en Occident demeureront une minorité et, probablement, les agents secrets de Dieu.

dans Le Figaro du 28 septembre 2021

 

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