L'édito d'Eric Meyer
La première Europe
A première vue, il y a peu de raisons de s’intéresser à Lavau. Petit bourg français, 960 habitants, la banlieue de Troyes, une rocade, pas d’église ni de cimetière, et un projet de prison pour 2022. Bref, Lavau, ce serait un peu la Champagne sans le champagne. Sauf que. A Lavau, en 2014, les archéologues ont mis au jour l’une des plus importantes sépultures de l’époque celte. Cette découverte complète les recherches toujours actives dans d’autres sites en Europe. Et prouve, qu’aujourd’hui encore, le monde des Arvernes et des Eduens continue de nous parler.
Et voilà qui est utile. Sous la plume des historiens mémorialistes romains et de César en particulier, les Celtes furent d’abord dévalorisés, réduits à l’état de «bons sauvages» ou de barbares sanguinaires. A partir du XVIIIe siècle, l’Histoire a eu tendance, à l’inverse, à surestimer leur importance, à en faire une civilisation à part entière quand il s’agissait plutôt d’une communauté de peuples, dont les liens étaient avant tout économiques et culturels. Aujourd’hui, on pourrait considérer que ces siècles-là sont désormais un théâtre pour experts en ossements et en nécropoles. Ce serait oublier que nous devons aux Celtes une partie de nos racines. Ces peuples furent une mère de l’Europe. Cette mère-là a, certes, laissé un héritage plus ténu que la romaine ou la chrétienne, car elle a eu le tort de souder sa famille autour d’une langue et non d’une écriture, dont il ne reste que de très rares exemples. Mais la culture celte s’est aussi dissoute dans les siècles parce que celles qui lui ont succédé ont intégré une partie de ses savoirs, de ses rites, de ses guerriers aussi. Les Celtes inventèrent une agriculture, un artisanat, un art, ils construisirent des voies de communication, développèrent des sciences et des armes, un système d’éducation pour tous, maîtrisèrent une ressource économique majeure, le sel. De grandes villes, Bâle, Belgrade, Milan, Genève, Paris, Reims, sont les descendantes des oppidums celtes. Et ces supposés «barbares» formèrent, entre 800 et 25 avant Jésus-Christ, un ensemble politique qui finit par s’étendre de la mer d’Irlande à la mer Noire. Ils avaient dessiné, avant les Romains, Charles-Quint, Napoléon et Maastricht, une Europe. Il y eut des combats et du sang versé, certes. Mais ce fut la première ébauche d’une Europe homogène, et ce ne fut pas une dictature.